Nulla.𒐕 : Beaucoup de bruit pour un verre d'eau ; chapitre 1

Un verre d’eau Ă©tait posĂ© devant son visage. À moins que ce ne soit lui qui s’est mis le visage devant le verre d’eau. Il ne s’en souvenait plus, et au fond cela n’avait que peu d’importance. Cela aurait pu ĂȘtre un verre de jus de fruits, ou encore un verre vide, s’il y rĂ©flĂ©chissait un peu. Le problĂšme n’était pas que le verre d’eau soit en face de lui – ou qu’il soit en face du verre.

Non, la question de l’emplacement d’un verre d’eau dans son espace vital n’avait d’importance que parce que la cause de son arrivĂ©e devant son visage lui Ă©tait inconnue.

Il n’était pas endormi, et ne devrait pas souffrir d’Alzheimer ou toute autre maladie dĂ©gĂ©nĂ©rative de la mĂ©moire Ă  son Ăąge. Pourtant, un verre d’eau Ă©tait devant lui, et il ne se souvenait plus pourquoi.

Sans bouger sa tĂȘte posĂ©e sur ses bras repliĂ©s, eux-mĂȘmes posĂ©es sur la table de la salle Ă  manger, Alix analysa ses alentours. La table n’était pas mise, pas encore. Cela ne serait tarder, se dit-il cependant, car la tĂ©lĂ©vision Ă©tait allumĂ©e et il entendait vaguement son pĂšre s’affairer derriĂšre lui. Un rapide coup d’Ɠil vers l’horloge holographique lui confirma sa pensĂ©e.

12 h 48.

Dans 11 minutes, sa mÚre entrerait dans leurs appartements, et dans la minute qui suivraient, Alix et sa famille mangeraient pendant exactement 1 h 26 pour leur permettrait 4 minutes pour ranger un peu la table et partir en direction des salles au centre du bùtiment.

Il ne devait pas ĂȘtre en retard, pas aujourd’hui, quitte Ă  manger moins que d’habitude.

Il se releva de sa position, prit le verre d’eau et l’observa de plus prùs.

Il ne se souvenait vraiment pas de depuis quand ce verre d’eau Ă©tait devant lui.

— « Papa ? C’est toi qui as mis le verre d’eau “ »

Le silence fut sa seule rĂ©ponse. Son pĂšre semblait ne pas l’entendre, trop occupĂ© dans la cuisine Ă  faire il-ne-savait-quoi –

Enfin, si, Alix ne devait pas ĂȘtre de mauvaise foi. Il savait ce que son pĂšre faisait.

Il faisait la mĂȘme chose qu’il faisait tous les mois. Il faisait le repas. Le mĂȘme repas chaque mois mĂȘme, un repas lĂ©ger, facilement digĂ©rable et mangeable, mais qui contenait quand mĂȘme assez de nutriments pour pouvoir tenir lors d’une rĂ©union de deux heures. Accompagnant son pat simple, une salade de fruits fais avec des fruits et des lĂ©gumes du coin, voire de la planĂšte. Une espĂšce de tomate, Ă©voluĂ©e Ă©trangement sous l’étoile 41 Lyncis (aussi nommĂ© Intercrus) ou bien une pomme de terre donc la peau Ă©tait devenue dure comme la pierre quasiment.

— « Papa ? »

Ce dernier sortit enfin de sa cuisine. Sans un mot, il lui tendit juste des couverts. Le message était clair : < Fais la table au lieu de parler >. Une fois la porcelaine en équilibre précaire dans les bras du jeune homme, il se retourna et plongea une fois de plus dans la cuisine.

Alix soupira. Il n’y avait pas grand-chose d’autre Ă  faire, se dit-il en s’approchant de la table. Il avait compris assez vite comment cela fonctionnait entre adultes dans sa famille : pas de rĂ©ponse pour les questions stupides.

Pas de réponse pour Alix.

Pas de rĂ©ponse pour son verre d’eau.

Alors Alix réfléchit à autre chose.

Il n’y avait pourtant pas beaucoup de sujets auxquels il aimait penser. C’était souvent top dur pour lui, ses pensĂ©es allaient dans tous les sens au mieux, ou lui Ă©chappaient au pire. Un cerveau vide de voix, oĂč mĂȘme formuler sa parole lui Ă©tait prenant en Ă©nergie.

Un moment, c’était une gorge nouĂ©e. Il Ă©mettait des sons aigus mĂ©langĂ©s Ă  des sons graves, avant de tousser. Le souffle lui manquait alors bien assez vite, et il devait se rĂ©soudre Ă  ne rien dire.

Un autre, sa voix devenait brouillĂ©e, entrecoupĂ©e. Il rĂ©pĂ©tait sans cesse les mĂȘmes syllabes jusqu’à ce qu’il soit obligĂ© de laisser tomber.

Bien sĂ»r, chaque abandon lui venait surtout Ă  cause du regard des autres. Ils le fixaient d’un regard noir et impatient. Certains se dĂ©tournaient de lui, d’autres finissaient sa phrase Ă  sa place.

Pas de temps pour Alix. Pas de temps pour lui qui ne parlait pas.

⁙ < Pauvre Alix >, aurait-il pensĂ©.

S’il en avait l’énergie.

Il termina de mettre les couverts, sĂ©parant les fourchettes des couteaux suffisamment. L’assiette est placĂ©e au centre, devant la chaise ; il en avait trois, comme le nombre de chaises Ă  la table.

Sa tĂąche terminĂ©e, il se rassit. Il ne lui restait que cinq minutes Ă  attendre, mais que faire pendant ces minutes ? Ses muscles lui semblaient lourds, et il n’avait vraiment aucune idĂ©e de quoi faire. Ouvrir son GSM et lire quelque chose ? Aller sur internet ? Non, mauvaise idĂ©e, si sa mĂšre le dĂ©couvrait sur son GSM un peu plus d’une heure avant la rĂ©union familiale, elle aurait sa peau.

⁙ Comment osait-il se distraire alors qu’il avait des choses plus importantes Ă  faire “ Alix entendait presque sa voix.

Au final, le temps qu’il prit pour penser Ă  ce qu’il allait faire se suffit en lui-mĂȘme, puisqu’il entendit la porte d’entrĂ©e s’ouvrir.

La mùre d’Alix venait de rentrer.

— « Salut maman. »

— « Bonjour Alix. Je vois que tu es enfin levĂ©. Es-tu prĂȘt pour cet aprĂšs-midi ? »

※ Pas comme la derniĂšre fois, ni la fois d’avant. Et ne parlons pas de celles d’avant non plus tant qu’on y est


Il se contenta de hocher la tĂȘte. Son silence fĂ»t prit pour une approbation et sa mĂšre se tourna vers son pĂšre. Elle commença Ă  lui poser des questions Ă  lui-aussi, sur sa journĂ©e, sur ses projets.

Alix se laissa bercĂ© par les voix. Leur propos coulaient sur lui, rentrant d’une oreille et sortant par l’autre. Il n’était pas interessĂ© par les hobbys de son pĂšre, et encore moins par la journĂ©e de sa mĂšre.

Les minutes passĂšrent rapidement pendant qu’il Ă©tait dans cet Ă©tat second. Une bouchĂ©e aprĂšs l’autre. Le repas d’aujourd’hui Ă©tait le mĂȘme que le mois dernier, la texture la mĂȘme. La tomate toujours aussi forte, toujours aussi verte dans la salade de fruit. Et pourtant


Et pourtant


C’était assez terne aujourd’hui.

§

Il va sans dire que, pour Alix, la procession vers la salle des rĂ©unions des FumĂ©chaudes faisait partie des plus longues qu’il connaĂźt. Elle ne faisait bien sĂ»r pas plus de mĂštres que n’importe quelle marche d’un bout d’une rue vers une autre. Physiquement, il ne s’agissait que d’une marche de quelques minutes, dont une d’entre elles se dĂ©roulait dans un ascenseur. L’apprĂ©hension de l’arrivĂ©e, cela dit, changeait toute la teneur de ce dĂ©placement pour lui.

Et pas qu’à lui. Lorsqu’il ne se sentait plus vraiment respirer, dĂ» au stress, il regardait ses parents et voyait comment eux aussi n’étaient pas naturels. C’était bien simple, eux aussi ne marchaient pas normalement.

Sa mĂšre Ă©tait une femme d’affaires qui avait toujours eu ce qu’elle voulait. La grand-mĂšre maternelle d’Alix aimait Ă  lui rappeler sans cesse les histoires d’enfance de sa mĂšre. À peine sortie du berceau qu’elle marchait dĂ©jĂ  avec l’aisance qu’elle maĂźtriserait Ă  l’ñge adulte. Sa mĂšre se dĂ©plaçait avec une cadence qui la sĂ©parait des autres personnes qu’il connaissait. C’était un pas aprĂšs l’autre, lentement ; elle marchait comme si elle mourait si son pied n’avait pas roulĂ© avec son pas. Lorsqu’elle portait des talons, surtout les talons aiguilles avec les semelles compensĂ©es Ă  la mode dans le Bras d’Orion en ce moment, elle rythmait la cadence de ses bras et de son corps avec le rythme de sa marche. Son corps entier avançait comme une personne (ah !), laissant derriĂšre lui jalousie, envie ou peur.

Sa mĂšre marchait comme elle pensait. Patiemment, mais sĂ»rement, elle allait vers son objectif de la mĂȘme maniĂšre qu’elle prĂ©parait ses plans pour obtenir ce qu’elle voulait. L’exemple le plus concret de cette personnalitĂ© Ă©tait son mariage avec le pĂšre d’Alix. Elle l’avait vu au dĂ©tour d’une rue, et sitĂŽt ce dernier dans son champ de vision, elle avait su que cet homme serait le sien. Et mĂȘme que la grand-mĂšre maternelle d’Alix avait rajoutĂ© que, quand elle se disait prĂȘte Ă  tout, elle ne l’avait pas dit Ă  la lĂ©gĂšre.

Une femme imperturbable, voilĂ  ce qu’était sa mĂšre.

Or, mĂȘme elle ne pouvait cacher le lĂ©ger empressement dans ses pas. Son buste, d’habitude si droit, quasiment perpendiculaire au sol, penchait vers l’avant. Et ses pas Ă©taient lĂ©gĂšrement plus rapides que le « clak- 
 clak-   » synchronisĂ© avec ses battements de cƓur.

Et du cĂŽtĂ© de son pĂšre, c’était un homme simple qui connaissait sa place dans le monde. Le grand-pĂšre maternel d’Alix lui avait expliquĂ© qu’il avait la dĂ©marche de ceux dont le monde ne refusait rien. ⁙  s’était-il criĂ© une fois.

Alix ne voyait pas en quoi la famille de naissance de son pĂšre influençait sa maniĂšre de marcher
 Alix ne marchait pas du tout comme son pĂšre, il n’avait pas la tĂȘte si haute


Tout ça pour dire que cela le rassurait de les voir presser le pas. Ça les rendait humains, pour lui.

Cela les rendait comme lui.

Et ça, ce sentiment d’appartenance, il l’aimait bien.

MĂȘme si ce n’était que pour quelques minutes par mois.

Perdu dans ses pensĂ©es, il fit tout de mĂȘme attention en entrant de l’ascenseur principal du bĂątiment. Il ne devait pas rentrer dans ses parents, ils se rendraient compte qu’il ne faisait pas attention Ă  ce qu’ils disaient. Enfin, moins que d’habitude.

Ses parents discutaient toujours en face de lui. Quelque chose en rapport avec une cousine ? Une injustice pour les descendants directs ?

Il pouvait ĂȘtre lent, mais pour les discussions purement positionnelles au sein de la famille, Alix avouait qu’il ne voulait mĂȘme pas y Ă©couter ou y participer. Il avait un peu la flemme. Un peu beaucoup mĂȘme.

Cela Ă©tant dit, la discussion ne dura pas plus longtemps, car l’ascenseur arrĂȘta sa descente et ils durent sortir.

Se tenait devant eux le dernier couloir, et au fond de ce dernier, une porte en bois massif violet. DerriĂšre cette porte faite d’un chĂȘne ayant mutĂ© Ă©galement bizarrement sous l’étoile Intercrus se trouvait la fameuse salle de rĂ©union du clan.

Son pĂšre toqua une fois.

Quand Alix avait Ă©tĂ© plus jeune, quand il cherchait encore Ă  comprendre le monde qui l’entourait et que ses yeux brillaient de curiositĂ© – d’aprĂšs sa grand-mĂšre maternelle –, il se demandait pourquoi son pĂšre ne toquait qu’une seule fois : toujours de la mĂȘme maniĂšre d’ailleurs ; une fois, au milieu de la porte, vers la gauche, Ă  l’opposĂ© de la clinche. Il avait alors regardĂ© comment les autres toquaient. La mĂšre de son arriĂšre-petite-cousine devait toquer cinq fois, tandis que son cousin 'Tis (qui Ă©tait techniquement son cousin germain Ă©loignĂ© au 1er degrĂ©, mais au vu de la diffĂ©rence d’ñge entre eux, Ă©tait restĂ© son cousin) devait toquer deux fois. Il avait Ă©mis l’hypothĂšse que la distance avec la Matriarche dictait le nombre de fois qu’il fallait frapper la porte, mais son oncle toquait aussi qu’une fois alors qu’il n’était que son gendre. Il avait compris que cela dĂ©pendait de ce que la Matriarche voulait.

Bref, tout ça pour dire que son pùre frappa une fois, attendit quelques secondes avant d’ouvrir la porte et de rentrer, Alix et sa mùre aux talons.

Comme d’habitude, on aurait pu entendre une mouche voler. Personne ne parlait, ni ne bougeait ou ne faisait du bruit, ce qui avait toujours impressionnĂ© Alix autant que cela lui faisait peur : sur les 30 personnes prĂ©sentes physiquement et les 20 autres en ligne, aucune ne faisait du bruit.

Alix avait toujours peur de trĂ©bucher sur une chaise ou se mĂȘler les pieds et tomber. Dans un tel silence, l’attention se serait portĂ©e sur lui.

Et ce n’était pas une bonne attention. Ah ça non !

Il arriva Ă  sa place sans encombre.

PremiĂšre Ă©tape de passĂ©. Maintenant, il suffisait qu’il fasse semblant d’écouter et qu’il se fasse tout petit assez que pour passer inaperçu.

Facile, il avait 22 réussites à son actif !







Il venait de se plomber l’ambiance tout seul


— « Christelle n’est pas encore arrivĂ©e ? C’est quelque peu Ă©tonnant  » La voix de sa tante lui fit l’effet d’une piqure d’insecte, et il tourna la tĂȘte vers elle.

— « Il y a encore quelques minutes avant que Mamy n’arrive, ne nous rĂ©jouissons pas trop vite. »

L’homme qui avait rĂ©pondu Ă©tait un des neveux de la Matriarche.

Comment s’appelait-il dĂ©jà ?

Eddy ?

Ody ?

Odieux, ça, c’est sĂ»r, mais Alix ne connaissait plus le prĂ©nom.

Bah ! Jusqu’à ce qu’il s’en souvienne, ce sera Odieux.

Les discussions autour de lui ne reprirent pas, et le silence s’installa une fois de plus. Tous autour de la table se regardaient et se jugeait, leurs yeux fixant telle ou telle personne pour des raisons qu’Alix ne connaissait pas, mais se doutaient, allaient ĂȘtre expliquĂ©e lors de la rĂ©union.

Ladite Christelle rentra en panique, brisant le silence. Tous tournĂšrent leurs regards vers elle, et Alix, bien qu’assez Ă©loignĂ© de l’entrĂ©e, vit avec prĂ©cision ses Ă©paules atteindre ses oreilles. S’étant faite toute petite, elle s’installa Ă  l’extrĂ©mitĂ© de la table centrale.

Sa position signifiait deux choses : elle allait parler lors de la rĂ©union, mais elle n’était pas assez importante que pour se rapprocher de la Matriarche.

Elle avait de la chance, car Ă  peine deux minutes plus tard, et Alix s’autorisa un regard vers l’horloge qui annonçait l’heure actuelle – 14h 39 –, la Matriarche rentra. DĂšs le premier pied passĂ© dans l’antre de la porte, tout le monde dans la salle se leva.

Alix le fit une demie seconde plus tard, quasiment imperceptible. Il Ă©tait lent, aprĂšs tout, tout le monde le savait, alors personne ne le fit remarquer. Ni maintenant et ni plus tard


Doucement, sans fanfare, la Matriarche s’avança. Elle n’en avait pas besoin, de fanfare. Chacun de ses pas, de ses clock – clock, dont un sur d’eux Ă©tait soutenu par le tump de sa canne, coupaient le silence au couteau. MĂȘme avec l’ñge, elle se s’était jamais tassĂ©e sur elle-mĂȘme, toujours droite. Le regard vissĂ© devant elle, elle ne s’avança ni trop lentement ni trop rapidement, jusqu’à son fauteuil en tĂȘte de table. Une fois assise, elle balaya de son regard l’assemblĂ©e : le signal pour qu’ils se rassoient. Une fois cela fait, elle dit d’une voix forte :

— « La sixiĂšme rĂ©union hebdomadaire du jeudi 39e du Printemps de l’an 49 commence. »

Alix n’avait pas besoin de regarder l’horloge pour savoir qu’à peine eu-t-elle finit de dire sa phrase, que cette derniĂšre affichait 14h40. Mamy n’était jamais en retard et toujours ponctuelle.

§

Il n’aura pas fallu vingt minutes pour qu’Alix commence à s’ennuyer.

Pas que cela le surprenne, bien sĂ»r, mais quand mĂȘme
 vingt minutes Ă©taient un nouveau record.

Il s’attendait Ă  ce que plus de choses se passent en un mois. Mais il semblerait que ce printemps-ci, pas grand-chose ne se soit dĂ©roulĂ©. Ce n’était pas forcĂ©ment une mauvaise chose, puisque cela pouvait dire que la rĂ©union ne durerait pas.

Le contrepied d’un tel fait, comme un prix ou un sacrifice Ă  faire dans l’espoir d’obtenir une bĂ©nĂ©diction ou autre, Ă©tait que le temps passait lentement. TrĂšs lentement.

Les meilleures rĂ©unions, ce sont celles qui – et loin l’idĂ©e qu’Alix soit sadique ! – mettaient en scĂšnes des Ă©checs ou bien des trahisons. C’étaient toujours celles-lĂ  oĂč il y avait des retournements de situations. Alix pouvait alors fixer du regard les membres de sa famille et analyser leurs mimiques sans soucis : que ce soit les animositĂ©s ou les alliances sous-jacentes.

Et bien sûr, au centre de ce chaos ordonné, se trouvait toujours Mamy, la Matriarche Fuméchaude.

En pensant Ă  elle, Alix dirigea son regard discrĂštement vers sa grand-mĂšre. Cette derniĂšre considĂ©rait ce qu’un oncle lui prĂ©sentait. Alix tenta de se reconcentrer quelque peu, mais abandonna vite lorsqu’il entendit parler de < propositions d’alliance avec une entreprise du systĂšme stellaire adĂ©esse sept-mille deux cent cinquante et un >. En plus de n’en avoir rien Ă  faire de ce genre d’alliance de sous de table, il ne connaissait pas de systĂšme nommĂ© adĂ©es –




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 Il parlait du systùme stellaire ADS 7251





Maintenant qu’il y faisait attention, il voyait le nom dans les notes de l’oncle.




Ça ne changeait en rien son propos.

Vingt minutes plus tard, il avait entendu des promesses quasi irrĂ©elles de profits, des questionnements sur l’image des FumĂ©chaude et, bien sĂ»r, le futur anniversaire de son cousin. Cela continua le mĂȘme cirque les vingt suivantes.

Il s’ennuyait sec.

Puis se fut enfin le tour de Christelle. Elle se releva sur sa chaise, et commença Ă  parler d’une zone constructible dans le Continent 10. Elle voulait rĂ©utiliser l’espace laissĂ© Ă  l’abandon pour un projet
 Alix n’avait pas bien entendu, une sorte de zoo ? Refuge ? Il avait perdu le fil.

Les « adultes » autour de la table s’offusquĂšrent, sourirent ou acclamĂšrent la proposition. Alix zona un peu, avant de revenir en entendant l’accord accordĂ© par Mamy.

— « Je vous remercie Mamy ».

Christelle avait sa terre.

— « Était-ce lĂ  tous les points du jour ? » demanda l’ainĂ©e de la piĂšce aprĂšs avoir laissĂ© le silence planĂ© un peu.

La Matriarche regarda le reste de l’assemblĂ©e. Christelle en profita pour se rasseoir, sans aucun doute rassurĂ©e que sa prĂ©sentation se soit dĂ©roulĂ©e sans accroc, comme elle l’avait prĂ©vu. Mais personne n’avait d’autre chose Ă  rajouter.

Alors Mamy acquiesça une fois. Puis deux. Puis elle referma d’un bruit sec le journal en face d’elle.

— « Dans ce cas, je vous laisse retourner Ă  vos prĂ©occupations. Au mois prochain. »

Elle se leva, l’assemblĂ©e suivit son geste – Alix avec une demie seconde de retard, encore – et elle quitta la piĂšce comme elle Ă©tait entrĂ©e : Ă  son rythme.

Cela donna l’occasion Ă  Alix d’observer l’instant prĂ©cis oĂč, une fois Mamy loin de la salle, le soulagement se propager parmi les membres de la famille. Des Ă©paules se relĂąchĂšrent et des discussions murmurĂ©es recommençaient, et les oncles, tantes et cousin·es se dĂ©tournĂšrent du centre du local, et, Ă  intervalle irrĂ©gulier, s’avancĂšrent vers la sortie.

La rĂ©union mensuelle Ă©tait finie, et le calvaire qu’elle apportait aussi.

Et Alix Ă©tait lĂ . Il reprit une respiration normale – il n’avait pas remarquĂ© que sa respiration s’était accĂ©lĂ©rĂ©e, les battements de son cƓur se synchronisant avec celle-ci et ses mains devenant alors moites de sueurs ; ce que son inconscient considĂ©rait comme danger Ă©tait passĂ©, la tempĂȘte Ă©tait partie et Alix pouvait ĂȘtre calme. Il essuya ses mains discrĂštement sur son pantalon.

Il se cogna aussi la jambe sur la table, car en voyant ses parents partir sans lui, il s’était relevĂ© brusquement. Bravo pour la discrĂ©tion.

Alors qu’il les suivait, la tĂȘte baissĂ©e, il remarqua que sa vue Ă©tait brouillĂ©e par ses mĂšches de cheveux du front, ses franges. Il ne voyait que ses pieds, et non la direction qu’il empruntait – bien qu’il la connĂ»t par cƓur, Ă  force – et dĂ©pendait entiĂšrement sur ses parents pour le guider ; le « clack-clack » rapide de sa mĂšre, soutenu par le « cluck-cluck » plus lent de son pĂšre.

§

Si on programmait le planning quotidien d’Alix FumĂ©chaude, on trouverait le temps bien vite long. Le·a secrĂ©taire chargé·e d’un tel travail n’aurait de quoi s’occuper que pendant un jour sur le mois, voire deux dans les rares exceptions. Iel aurait vite intĂ©rĂȘt Ă  trouver un hobby pour compenser le manque d’action et le fait que, concrĂštement, il n’y avait rien Ă  planifier.

Alix avait fini l’éducation obligatoire depuis longtemps – c’est faux, seulement cinq ans – et n’avait jamais cherchĂ© Ă  faire plus. Il s’était rempli les journĂ©es pendant un temps de diverses formations et de passage de permis. Une fois cela fait, il Ă©tait parti participer Ă  diffĂ©rents voyages initiatifs. Pas par plaisir pour lui ni par envie, sa mĂšre refusait juste, encore Ă  cette Ă©poque, la rĂ©alitĂ© qui Ă©tait que son fils soit un flemmard. Ces voyages avaient permis de cacher cette inactivitĂ© aux autres membres de la famille – ils le savaient « stupide », il aurait Ă©tĂ© horrible pour elle qu’ils rajoutent le titre de « paresseux » Ă  son palmarĂšs ! AprĂšs deux ans, pourtant, la ruse fut dĂ©couverte et Alix put enfin rester un peu chez lui.

Autant dire qu’il n’avait aucune obligation autre que celles communes avec les autres petits-enfants de la Matriarche. Du cĂŽtĂ© rĂ©seautage, ses rares amis Ă©taient occupĂ©s avec leurs propres vies et carriĂšres, et ne se regroupaient que rarement.

Rarement, certes, mais pas jamais, puisqu’une de ses amis avait envoyĂ© un message sur le groupe privĂ© commun Ă  peine fut Alix de retour chez lui.

✉ ⟠TamTam⟠TamGSM → ⟠Alix.le.terrien⟠AlixGSM et al : « Quelqu’un partant pour une soirĂ©e cool Ă  CaffĂ© Inné ? »

Alix avait levĂ© la tĂȘte. Il avait regardĂ© un moment ses parents, avant de reposer ses yeux sur le tĂ©lĂ©phone.

✉ ⟠Alix.le.terrien⟠AlixGSM → ⟠TamTam⟠TamGSM et al : « Je suis sur FumĂ©chaupolis. Je suis partant ! »

D’autres confirmations furent envoyĂ©es ensuite, mais pas tout le monde pu accepter l’invitation.

✉ ⟠Alix.le.terrien⟠AlixGSM → ⟠TamTam⟠TamGSM et al : « C’est quoi l’adresse dĂ©jà ? »

Il n’avait jamais posĂ© les pieds dans un cafĂ© avec un tel nom, et la rĂ©ponse qui lui fut donnĂ©e le rĂ©conforta dans cette idĂ©e.

※ Au 12, rue de Josse, Portail-de-Bois ? C’est en dehors de la Vieille Protection
 À ce qu’il parait, c’est un chouette endroit. C’est bĂȘte que je n’aie jamais pensĂ© Ă  y aller


Il envoya une rĂ©ponse affirmative. Il arriverait dans vingt minutes, Tam lui rĂ©pondit qu’elle serait lĂ  dans quinze. Les autres participants aussi.

Il prit ses affaires, pas besoin de se changer.

Il sortit.

Il marcha quelques minutes.

Il prit le tram.

Il marcha de nouveau quelques minutes.

Une fois devant le café, il attendit. Tam arriva, habillée sobrement. Elle venait de sortir de son boulot, sans doute.

Ils entrÚrent tous les deux et, aprÚs quelques minutes, se retrouvÚrent à une table. Un à un, ses amis arrivÚrent. Tous également habillés sobrement. Alix faisait un peu tache avec ses habits colorés.

Une fois le dernier de ses amis arrivé, Alix ne put que sourire. Il les écouta, les regarda et participa de temps en temps à la discussion.

Il Ă©tait tablĂ© Ă  une table de huit, alors qu’ils n’étaient que cinq. Cela n’avait pas beaucoup d’importance, mais Alix fixa du regard les chaises vides. Il manquait quelque chose ici, comme il manquait quelque chose Ă  Alix.

Un corps sans rien pour l’habiter.

Les chaises restĂšrent vides toutes la soirĂ©e, sans jamais ĂȘtre prises.

Il se sentit bien seul lorsqu’il reprit le chemin du retour, quelques heures plus tard. Les au revoir faits, les « Ă  la prochaine » Ă©changĂ©s
 la routine reprenait.

Demain, Alix ne ferait rien.

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Merci de votre lecture :D Vous pouvez me retrouver sur le Fediverse sur @plumereine@venera.social ! A la prochaine ! :) Plumereine