[Le tableau]
En chuchotant Ma mère montre du doigt un tableau Posé Sur le sol de la chambre Me raconte son histoire
On y voit Un bout de table recouverte d'une toile cirée Carreaux blancs et verts Collée à un mur qui se fissure S'effrite s'écaille Un bout de mur recouvert à la chaux
On devine sans le voir le sol de terre battue
Puis Deux petits objets quotidiens Aussi simples que le reste du décor qui les entoure comme une main de grand-mère Un vase rempli de petites fleurs Une louche suspendue au mur
Mais le sujet du tableau n'est Ni la table installée ni la toile cirée ni le mur fêlé ni le vase posé ni la louche accrochée
Il y a aussi une fenêtre en haut à droite Une fenêtre carrée petite croisée modeste Comme tout le reste Du tableau
Mais Ce n'est pas non plus cette fenêtre carrée Qui donne son sens Aux couleurs posées ça et là sur le bois
C'est La lumière qui la traverse Embarquant avec elle l'éclat vert des feuilles d'arbre l'éclat bleu du ciel l'éclat jaune du soleil Elle porte tous ces éclats Comme des éclats de rires bruyants Dans cet intérieur si simple si modeste pour ne pas dire Pauvre Elle colore le mur Comme on esquisse un sourire
L'histoire de ce tableau Des mains du peintre à celles de mon arrière-grand-mère à celles de ma grand-mère à celles de ma propre mère qui finit son récit en le posant dans les miennes
Voici maintenant celui que j'en fait
Les fenêtres sont souvent fermées Entre la mère et la fille Les mots y passent mal déformé par le verre
Entre la fille l'aïeule et la bisaïeule La fenêtre est même soudée Scellée par la Mort qui dessine les frontières à la faux
Mais ce tableau Est une lumière traversante Qui se joue des frontières
Les fenêtres de toutes les générations pourraient être fermées Il y aurait toujours Une lumière à transmettre