[Tempête]

J'avance. Je m'approche en silence. Je couvre tous les sons, les absorbe sans rien dire. J'avance. Je tire mon manteau sombre derrière moi. Devant moi. Partout où le ciel est libre. J'étends mes bras. J'attire à moi les nuages blancs et – d'un baiser – les teinte de noir. Leur coton léger devient lourd, dur, tranchant – comme une colère tue depuis trop longtemps. Quand, silencieusement, le ciel est recouvert de mon manteau de plomb, je gronde.

Alors le vent se lève, signal du jeu qui commence. Furies en vol, sorcières, sylphides, djinns ! Ils décollent uns à uns, se bousculant, se percutant, fonçant la tête à l'envers contre les volets des maisons, entre les branches d'arbres, sifflant, soufflant, arrachant quelques morceaux au passage – enfants pas sages du temps. Et riant, hurlant ! Messagers de la tempête qui vient, qui se prépare.

Qui est déjà là.

Je gronde encore. Feu et lumière. Premier éclair. Fissure dans le mur du son.

Et la première goutte, la plus lourde, fend l'air comme une lame. Appelle toutes les autres à la chute. C'est le sabbat de la pluie qui s'abat. Sabres se débattant dans le vent, tombant, giclant, se disloquant et submergeant tout. Musique-percussion aux allures de tambours de guerre. On n'entend plus les rires des vents dans le fracas des milliards de gouttes.

Je gronde encore. Feu et lumière. Éclair. Fissure dans le mur du son.

L'électricité fait briller un paysage de fin du monde. Le blanc aveuglant, fugace, fait place à un noir d'encre. Tout est saturé. L'ouïe comme la vue. Même l'odeur de l'eau envahit toutes les autres. L'humaine qui se tiendrait tête nue sous mon ciel ne toucherait qu'un courant entourant toute chose.

Alors peut-être penchera-t-elle la tête en arrière, ouvrira-t-elle la bouche pour goûter ce philtre éclaté. Clair-obscur éclatant. Alors je la verrai. Alors, je ne gronderai pas. Je ferai tomber pour elle le suc-même des vents contraires. Je distillerai l'éclair qui illumine et brûle tout. J'infuserai le son des tambours de la pluie. Et je verserai dans sa bouche entr'ouverte ce cocktail de destruction dans un verre aussi dense et noir que mon manteau de nuées.

Je veux qu'elle garde, quand j'aurai disparu, absorbée par les vents doux, vidée de toute énergie et de toute présence, je veux qu'elle garde au creux du ventre cette essence même de la joie destructrice, immense et nécessaire à la création des mondes.