Raconte moi une panne
Un endroit ydillique en Bretagne, sur le côte aux granits roses, des hackeuses, hackers, designeuses, designers, écologues, linguistes, architectes, militant⋅e⋅s, programmeuses et programmeurs, ingé⋅e⋅s, queers, se réunissent.
Des bords bords du Jaudy, sur épéron de roches et de terres face à la mer, elles et ils pensent que leurs utopies peuvent panser un peu le monde.
Dès le premier jour, à l’abri des pins, les WC et la douche rompent leur assignation à évacuation des matières. Leur espoir de deux semaines estivales florissantes sont menacés, leur hygiène est compromise. Un enfant de moins de dix ans est privé de commodités élémentaires dites modernes. Manger devenait compliqué car la vaisselle difficile à réaliser sans rejeter d’eau.
Les WC se bouchent, la douche refoule, l’odeur de putréfaction colle à leur système de conceptions idéalistes, l’odeur se répand dans le paysage. Même la vase de l’embouchure de la rivière ne rivalise pas avec ce spectre et son suaire olfactif.
Elles et ils pensent les liens, les techniques, les cultures, les systèmes et infrastructures. Elles et ils tissent des étoles de promesses et de devenirs. Pourtant cette panne les paralysait, au point critique que personnes n’agissait.
Il n’y a pas de “How To”, de “write up”, de “post mortem”, de page wiki pour ces situations. Seule les manches retroussées de rares personnes qui acceptent la responsabilité de l’investigation dans le dur, qui se chargent de patauger et de remuer les défécations d’un groupe social, ici concentré comme rarement sur cette zone, sont les agentes et agents de persistances d’une continuité de qualité de vie moderne faisant face à l’obligation physiologique.
Nous étions face à une esthétique, tout autant face à une métaphore, d'imbrications de construits dont nous héritons sans avoir choisi ce lègue, confronté·e·s à l'injonction de nous en responsabiliser. Nous entrions en profondeur « négociation tacite » avec les systèmes dont nous étions surgeonnes et surgeons.
Deux, nous avions été deux à prendre une pioche partagée pour fendre le puissant granit dans l’attente de libérer une hypothétique fausse ; à s’acharner à découvrir les drains bouchés par les temps et les rejets des humains. Chaque coup de boutoir n’enlevait que quelques éclats de roche, faisant raisonner notre squelette comme un simple tube métallique. En revanche de notre opiniâtreté nous recevions des jaillissements de liquide chargé de matières molles dont nous refusions la composition bien qu’étant obligés d’en avoir les odeurs.
Sueurs d’août, eau croupie, excréments, éclats de granit rose, finissaient par former un nouveau film, part de nous et de notre labeur, à même notre peau et faible quantité de vêtements.
La fausse fut découverte après une journée de bagnards. Il fallut ensuite y plonger seau et mains pour purger de mix de matières et de liquides afin d’envisager à la racine le problème. Pas non plus rejeter n’importe comment, ni n’importe où, ces reliquats de notre humanité que le temps de la nature et les technologies n’avaient pas encore eu le plaisir de traiter et digérer. Un ydillique cap rose ne mérite pas notre infection.
Le groupe, lui comment il fonctionnait ? Dans l’indigence, dans la mécanique sociale cassée, tout du moins arrêtée jusqu’à l’extrême capacité à retenir des besoins du corps. Certaines personnes encourageaient, d’autres regardaient par la fenêtre, d’autres encore s’échappait à la situation. Une forme de socialité chargée se constituait ; deux creusaient.
Ces personnes, pouvant être vues et lues comme « en capacité », sachantes, ou performantes, étaient ici dans une épaisse panne qui les gênait. Revelant aux passage beaucoup de l’intime et du fonctionnement de leur prédéceseuses et prédécesseurs, exposant à l’œil et au nez un envers du décors de nos communautés.
Nous avions pioché et curé plus d’une journée et demi. La pioche en étant usée, même rabougrie dans son profil. Déboucher, re-tuayauter, puis retapisser de sols, n’auront été que des épiphénomènes, tant ils furent faciles physiquement, tant la tension n’existait que dans la panne non-résolue du fonctionnement sanitaire.
Le camp des utopistes, des commonistes, pouvait reprendre le chemin du fonctionnement qui lui était promis. Là dans ce coin de paradis qui jadis fut et aujourd’hui est le théâtre de pirateries dont on ne sait jamais vraiment si elles furent fictionnées ou perpétrées.
Aux ami⋅e⋅s, à Kerbors.