Sur l'anarchisme, une perspective indigène queer

  1. Sur le Bloc, les structures horizontales, et la culture de la suprématie blanche
  2. L'organisation communautaire et l'aide mutuelle
  3. L'action directe
  4. Sur un avenir véritablement libéré

French translation from: “On Anarchism, An Indigenous Queer Perspective” https://theanarchistlibrary.org/library/aya-salta-on-anarchism-an-indigenous-queer-perspective

courtesy MAFW Translated by: 0x58 & Hex

Bien que cet écrit ne soit que le point de vue d'un⋅e seul⋅e anarchiste queer indigène, et qu'il ne cherche en aucun cas à faire autorité en matière d'anarchie (comment pourrait-on faire cela ?), j'espère qu'il pourra combler le fossé entre la lutte des peuples indigènes, noirs et les personnes dites de couleurs (POC), et l'anarchiste blanc. Je peux me concentrer sur ma lutte indigène queer car c'est ce que je suis, mais notre lutte n'est pas si éloignée (si ce n'est la même) de celle de mes complices noirs et autres POC.

Le Bloc, les structures horizontales et la culture de la suprématie blanche

Le bloc est connu pour sa mobilité horizontale, la protection de l'identité anarchiste et antifasciste, et l'outil de choix pour l'action. Si cela met en évidence les aspects attrayants et souhaitables de cet instrument bien utilisé, cela laisse de côté certaines des complexités auxquelles est confronté un anarchiste queer noires indigènes et de couleurs (BIPOC : “black, indigenous, (and) people of color”).

La première est l'opportunité pour les « meneureuses sociaux » de gagner en influence, principalement en faisant des choses risquées qui excitent les gens, qui cependant peuvent aussi mettre d'autres personnes (principalement les personnes BIPOC) en danger. Alors qu'une personne qui agit préventivement n'est pas mauvaise en soi et ne devrait pas être surveillée, nous constatons souvent que les personnes blanches occupent cet espace et ce rôle informel, leur blanchité agissant comme une barrière contre la répression extrême de l'État. Cela ne veut pas dire que les Noir⋅e⋅s, les indigènes ou les personnes ayant un handicap ne prennent pas les choses en main (car c'est le cas), mais plutôt que les personnes qui gagnent le « respect » dans la communauté du Bloc sont souvent blanches. Cela participe à l'émulation et au maintien de la culture de la suprématie blanche dans les espaces du mouvement anarchiste. En tant que groupe qui prétend être anti-autorité, il y a une grande attente sur la destruction de la « Hiérarchie sociale » principalement axée sur la suprématie blanche, la misogynie, la trans-misogynie et le pouvoir patriarcal.

La deuxième complexité est de naviguer dans ces hiérarchies sociales informelles, bien que très présentes, tout en s'organisant dans nos espaces du bloc. De la façon dont nous parlons à la façon dont nous sommes perçu⋅e⋅s dans l'espace, tout cela contribue à la « légitimité » qui nous est accordée. Si nous sommes franches et directes quant à la nature de notre lutte, nous pouvons être étiquetté⋅e⋅s « d'agressifs », d'« exigeant⋅e⋅s », d'« irréalistes » et ainsi de suite. Pourtant, il ne s'agit que d'une forme de « politique de respectabilité » ré-imaginée dans des espaces anarchistes. Pour être vraiment libéré⋅e, il faut d'abord déconstruire complètement la pensée et l'organisation oppressives dans nos espaces.

Troisièmement, la ségrégation du Bloc. Je vais peut-être froisser des petits pieds, cependant il faut le dire. Le Bloc peut être un groupe restreint et exclusif, autrement dit une clique. Cette inclinaison est un instrument d’épanouissement de la suprématie blanche D'après mon expérience personnelle, les anarchistes noir⋅e⋅s, indigènes ou issu⋅e⋅s de minorités visibles sont séparé⋅e⋅s des anarchistes blancs, non seulement au niveau des objectifs et aussi au niveau des débats, des actions et du partage des ressources. Nous pouvons voir des combats entre affinités, de gens majoritairement blancs, contre des gens majoritairement POC. C'est ainsi que nous sommes voué⋅e⋅s à l'échec. Sans briser ces hiérarchies internes, nous ne pouvons pas former un monde véritablement libéré. Nous ne devrions pas recréer ces mêmes systèmes d'oppression dans une conception de l'anarchie.

Ceci étant dit, on en vient à se demander comment un mouvement qui n'a pas déconstruit les hiérarchies sociales peut créer une « structure horizontale » ? Je dirais que c'est impossible. Tant que ces systèmes d'oppression ne seront pas écrasés dans nos espaces de mouvement, nous ne pourrons pas voir la structure horizontale de la libération se réaliser. Dans son état actuel, le Bloc n'a pas franchi la barrière pour devenir un espace véritablement libérateur.

Alors, quelles mesures peuvent être prises ? La première et la plus importante est que les blanches et blancs prennent du recul. Iels doivent prendre conscience de l'espace qu'iels occupent et des attentes qu'iels ont envers les personnes BIPOC de leur communauté. Attendez-vous de nous que nous vous éduquions sur notre lutte et sur la manière dont vous pouvez participer à son maintien ? Comptez-vous uniquement sur les efforts des personnes BIPOC pour faire tourner l'organisation ? Prenez conscience et reconnaissez les voix qui accaparent l'attention et demandez-vous vraiment si elles prennent le pas sur les voix marginalisées. Si nous voulons avoir un impact, nous devons commencer par nous-mêmes. La libération ne viendra qu'en se recentrant et en créant un espace pour que les plus marginalisé⋅e⋅s puissent parler, être entendu⋅e⋅s et que leurs appels à la libération soient soutenus. Votre penseur européen n'est certainement pas le plus grand penseur de la libération. Réalisez que s'il s'agit d'une perspective blanche, elle ne peut pas porter une déconstruction complète de l'oppresseur. Pour chaque voix blanche, il devrait y avoir au moins trois voix noires, indigènes ou issues de minorités visibles. Si ce n'est pas le cas, vous devez vous demander pourquoi.

Sur l'organisation communautaire et l'aide mutuelle

Selon mon point de vue d'anarchiste indigène queer, la seule façon de faire avancer notre lutte pour la libération doit venir directement de nous, dans notre communauté. Nous devons jeter les bases de ce à quoi ressemble une communauté qui cherche des réponses en dehors de l'État. Fournir des solutions de manière horizontale, qui répondent aux besoins de la communauté là où ceux-ci se trouvent. Ne pas mettre en œuvre une approche « uniformisée » (One-Size fits all). Nous devons montrer aux gens quelque chose qui donne de l'espoir, en dehors des institutions qui nous oppriment. En particulier en tant que personnes marginalisées, nous dépendons de ces institutions pour survivre, or ce sont elles qui nous tuent. Ainsi, trouver des moyens de contourner et de fournir ce dont nous avons besoin sans l'État apporte de l'espoir, et une voie à suivre pour se préparer à l'effondrement du climat et aux difficultés à venir. En tant qu'anarchistes, je crois qu'il est de notre priorité de montrer aux gens un moyen de sortir de la botte des États autoritaires, non pas pour les diriger, ou pour être une puissance révolutionnaire, mais pour montrer une voie différente, une solution qui apporte l'espoir, l'autonomisation, et le droit des peuples à l'autodétermination.

Il existe déjà des groupes qui font très bien cela. Des groupes informels, des ami⋅e⋅s, des complices et des regroupements anonymisés fournissent des ressources et des soins aux peuples opprimés dans leurs communautés. Je vois cela et j'ai très peu de critiques à formuler. C'est une source d'inspiration.

Mes pensées sont cependant les suivantes. Pour que nous puissions continuer à avancer vers la libération, nous devons apprendre à soutenir nos efforts dès maintenant. Comment construire un réseau d'organisation communautaire et d'aide mutuelle qui puisse subvenir à un effort plus soutenu et même d'aller plus loin encore ? D'après mon expérience, la culture blanche est centrée sur l'individu et la préservation de cet individu comme priorité numéro une. Cela se voit dans les espaces d'organisation. Je trouve que nos efforts sont souvent isolés du soutien mutuel. Les canaux de communication et de partage des ressources sont au mieux minimes. Comment pouvons-nous nous unir dans nos communautés élargies pour déployer des efforts massifs de sensibilisation Communautaire et d'aide mutuelle ?

Je crois que nous devons répondre aux besoins de notre communauté là où l'État échoue. Principalement, les soins médicaux, la nourriture et le logement. Nous devrions travailler en tant que réseau plus large de personnes qui veulent voir le même objectif final atteint. De grands événements d'entraide entre groupes d'affinités multiples ont connu de beaux succès en créant des espaces là où l'on peut commencer à en faire apparaître. Embarquez des personnes et sollicitez la communauté pour amorcer ces dialogues. Il n'y a pas deux communautés qui ont les mêmes besoins ou les mêmes solutions. Les gens n'ont pas besoin d'être anarchistes pour soutenir la constitution de soins communautaires autonomes. C'est ainsi que nous rallions des gens, en leur fournissant ce que l'État anéantit.

Sur l'action directe

 Il est loin le temps où un Bloc pouvait organiser une marche dans l'espoir de changer notre état de libération. Brûlez vos bottes de marche et vos pancartes, nous n'en avons plus besoin. Fini le temps où l'on jetait une pierre à travers une fenêtre en espérant que cela attire l'attention sur notre combat. Nous devons ajuster notre point de mire, nous devons frapper notre oppresseur DIRECTEMENT et sans hésitation. Nous devons apprendre à construire notre dynamisme d'abord pour ensuite frapper. L'action directe est différente aujourd'hui de ce qu'elle était il y a deux ans. Oui, les émeutes sont toujours appropriées, cependant comment pouvons-nous reprendre de cette énergie et frapper là où ça compte ? Nous devons apprendre à être plus stratégiques que nos oppresseurs, ils veulent que nous nous autodétruisions, que nous nous battions de l'intérieur et que nous n'atteignions jamais notre véritable potentiel. 20 anarchistes scindé⋅e⋅s en sur plusieurs cibles ne sont pas en capacité d'avoir l'impact que 10 anarchistes unifié⋅e⋅s ont en visant la tête de notre oppresseur.

Pour se concentrer sur une nouvelle stratégie d'Action Directe, je soumets le soutien de l'AD à AM. Qu'est-ce que je veux dire par là ? Eh bien, l'Aide Mutuelle a toujours besoin de ressources et de fournitures, et l'Action Directe permet d'obtenir des biens et objets. Mettez-les ensemble et nous pouvons avoir un système de soutien qui libère les ressources de nos oppresseurs tout en approvisionnant nos communautés.

Pour cela, il faut une bonne OpSec, et une séparation entre le groupe qui libère et celui qui fournit les ressources. Il doit y avoir de la confiance et une communication de personne à personne pour réussir à orchestrer un mouvement massif. Les ressources sont stockées dans des plateformes logistiques, sur des palettes, et dans des zones d'entassement en quantité très importantes. Il faut se poser la question suivante : comment un lieu pourrait-il empêcher un groupe de Black Bloc de libérer des cargaisons de nourriture, de vêtements, de fournitures médicales, etc. Je vous le demande, y a-t-il une meilleure cible pour notre action directe qui ait un impact à deux niveaux plutôt qu'un seul moment pour attirer l'attention ? Attaquer le capital, tout en approvisionnant notre communauté.

Dans de futurs écrits, j'aborderai la défense des terres et l'Action Directe qui va avec cela. Cet écrit est avant tout un aperçu de l'anarchie depuis ma perspective.

Pour un avenir véritablement libéré

Il est difficile d'imaginer un avenir véritablement libéré de mon vivant ou du vôtre. La seule chose que nous pouvons contrôler, c'est nous-mêmes. Nous pouvons avoir un impact sur notre propre communauté, nous devons simplement nous lever et le faire. Les gens ont besoin de visualiser quelques faits avant de s'engager à bord, donc si vous êtes une personne convaincue de la libération, ceci est une invitation à faire le premier pas. Commencez à montrer une alternative à l'État sous quelque forme que ce soit. Trouvez d'autres personnes qui partagent vos idées, travaillez dans la communauté dans laquelle vous vous trouvez, partagez des idées et des solutions, et ne vous contentez pas du temporaire effacement des oppresseurs, nous devons rêver plus grand, viser plus haut et frapper plus fort. Nous devons construire l'avenir que nous voulons voir, et cela commence par nous-mêmes. L'acte le plus radical que vous puissiez poser est de détruire les systèmes oppressifs dans votre tête et vos croyances. Avancez en écoutant les opprimé⋅e⋅s. Demandez aux membres de votre communauté ce dont iels ont besoin et faites tout ce qui est en votre pouvoir pour y répondre. Lorsque nous nous impliquons directement dans communauté avec soins, nous créons un lien que même le plus oppressif des autoritaires ne peut détruire. La communauté est notre libération. Lorsque les gens choisissent de participer à une communauté et de prendre soin les un⋅e⋅s des autres, la lutte en chacun de nous l'emporte sur celle de l'État. Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que ce chemin soit facile. Chaque tentative réussie de construction de cette communauté se heurtera à la répression de l'État, car il ne peut nous laisser prouver les échecs de son système.

Que notre libération renaisse des cendres de notre oppresseur.