Gagner un marathon urbain en prenant le métro
Le marathon fut inventé pour les Jeux Olympiques de 1896, nous dit wikipedia, “pour commémorer la légende du messager grec Philippidès, qui aurait parcouru la distance de Marathon à Athènes pour annoncer la victoire des Grecs contre les Perses en 490 av. J.-C. En ces temps-là le marathon était donc un moyen de transmission d'information, et nul doute que le messager Philippidès aurait préféré gagner 2h30, tout en s'épargnant une grande fatigue, en envoyant simplement un message sur Signal (qui n'aurait même pas nécessairement atterri dans la messagerie d'un journaliste international, qui plus est d'Amérique du Nord, puisque, d'une part ce continent n'était pas encore “découvert”, et d'autre part la presse internationale n'avait pas encore été inventée.)
A l'époque actuelle, le marathon n'est évidemment plus un moyen de transmission d'information. Ce n'est pas non plus un moyen de transport humain. Faire 42km à vélo n'est pas nécessairement beaucoup plus rapide, mais c'est beaucoup moins fatigant. Une automobile vous mènera 42km plus loin sans le moindre effort, à part le travail préalable nécessaire pour pouvoir vous l'offrir. Le marathon s'est transformé en dépassement de soi, en démonstration d'excellente condition physique, en exercice quasi mystique si l'on en croit certains coureurs. Toutes choses qui ne sauraient être remplacées, ni par un message Signal (puisqu'il n'y a pas d'information à transmettre), ni même par un moyen de transport humain moins fatigant ou plus rapide. Il est clair dans l'esprit de tout un chacun que l'objectif du marathon n'est pas d'aller le plus vite possible d'un point A à un point B, mais bien plutôt de tenir le coup tout le long du chemin. Eventuellement pour ceux qui ont l'esprit décidément compétitif, d'arriver en premier. Il y a bien sûr, comme dans toute compétition sportive, des cas de dopage^1. Mais l'exercice est considéré par le public des compétitions sportives comme un accomplissement impressionnant.
Quand Rosie Ruiz “gagna” le marathon de Boston en prenant le métro, toute la sphère sportive s'en émut donc naturellement, et la sanction fut impitoyable.
Ce qui nous amène tout naturellement à la question : pourquoi écrire avec ChatGPT est-il valorisé comme la marque certaine d'une adhésion à la modernité triomphante et technophile, alors que gagner un marathon urbain en prenant le métro est considéré comme un dévoiement honteux de l'exercice, une tricherie passible des pires sanctions ?
Quand je demande à mes étudiant.es d'écrire un résumé d'article, scientifique ou pas, ce n'est pas parce que j'ai besoin d'un résumé. Premièrement j'en ai déjà environ 500 exemplaires des années précédentes, deuxièmement je sais faire moi-même, sans doute bien plus vite, l'expérience aidant. Mais surtout, si je demande un résumé c'est parce que je cherche à les pousser à comprendre suffisamment l'article pour être capable d'en concevoir et écrire un résumé personnel. Résumé qu'à la fin on pourrait aussi bien mettre à la corbeille sans remords, sa valeur ne résidant que dans l'exercice qui l'a produit.
Quand on m'explique que les IAs génératives peuvent m'aider à faire une revue de liitérature, en choisissant à ma place les articles pertinents, en produisant à ma place leurs résumés, et pourquoi pas en écrivant à ma place le paragraphe “Related Work” de mon prochain article, je me sens comme un coureur marathonien^2 à qui on conseillerait de prendre le métro, sous prétexte qu'on n'est plus au temps des coureurs-messagers de la Grèce antique, que ça lui fera gagner du temps, et qu'enfin délivré de cet exercice répétitif et essentiellement pénible il pourra se consacrer à des choses plus intéressantes, et “courir” plus de marathons.
^1 : puisque toute compétition s'accompagne de dopage, je trouve personnellement beaucoup plus sain de prendre le métro ou de cacher un moteur dans son cadre de vélo que de s'abimer la santé en absorbant des substances diverses et prohibées.
^2 : c'est une image. Je ne cours pas le marathon, ni même 100m pour attraper le bus.