Quelques textes un peu trop longs pour mastodon

Florence Maraninchi

Sur le niveau d'absurdité stratosphérique des dossiers à remplir pour obtenir des financements qui sont indispensables pour simplement faire le travail pour lequel on a été recruté.e dans l'enseignement supérieur. #resistESR

On lit dans un récent appel à projet de l'ANR (sous-titre : “au service de la science”) les paragraphes suivants (tout petits extraits des 35 pages de dépôt, contenant des consignes de remplissage des formulaires) :

Outline of Research Project
In Form 2-1, Provide an overall description of the research proposal in two or less A4-size sheets (no exceptions). Use 10.5 point or larger font size (If these instructions are not followed, the research proposal might not be accepted). Unlike Form 3-1 (project description), it is not allowed to cite numbers of papers that are shown in the list of achievements (Form 2-2, Form 6, and Form 7).

ou encore des “conseils” pour la présentation d'une liste de publications :

List of principal research papers(within 10 papers)(...) select a maximum of 10 principal research papers by the research project applicant (the Research Director) and list them here (Use the same description and format as from XX Form 6, Item 1)
- Make entries retrospectively from the present to the past years of publication.
- Sequentially number each item with a number at the beginning of each title.

Zut alors, moi qui mettais mes publications en vrac et avec des numéros au milieu des titres ! si j'avais su... Et si l'on veut jouer à la définition stricte des textes acceptables, alors la deuxième ligne (Numéroter séquentiellement chaque article ...) me fait un peu penser à “quelle différence y a-t-il entre un pigeon ?”, ou “mettre un tiret entre chaque nom”).

Et enfin des précisions sur les dates pour lesquelles on demande des prévisions de résultats :

2.Target of proposed research project
(1) Target to be achieved in the middle of the research period (within 60 words)
Describe briefly (within 60 words) the research target in the middle of the proposed research period (for 5.5 years of entire research period, at the time of 3 years later from the start of the project).

Vous imaginez le gestionnaire des programmes de recherche qui s'est levé un jour avec enthousiasme pour aller pondre ces règles détaillées dans lesquelles on estime nécessaire de préciser où se trouve le milieu d'un projet de 5 ans et demi ? Et je vous laisse apprécier le glissement entre le titre Target of proposed research project (ça va encore, en général on sait un peu ce qu'on veut essayer de faire), et immédiatement dessous Target to be achieved in the middle of the research period. Comme d'habitude : si on le savait on l'aurait déjà fait. Et si on ne le sait pas, c'est parce qu'il s'agit de recherche. En s'en tenant aux stricts aléas sur le fond scientifique de la question, personne n'a jamais su dire où il en serait, à 3 mois près, l'année suivante. Alors si en plus on prend en compte les aléas dus à la gestion du projet, ce formulaire nous demande juste d'inventer purement et simplement un planning de résultats.

Enfin il faut bien se rappeler que cela s'adresse à des gens qui ont fait de longues études, et à qui on va distribuer de l'argent pour censément les inciter à faire preuve d'imagination et à faire avancer la science. Quoi que l'on pense de cet objectif, des critères qui devraient présider au choix des sujets de recherche financés ou non, n'y aurait-il pas comme une petite incohérence à préciser au quart de poil les règles de remplissage de dossier, alors qu'on attend de l'imagination, de la liberté de pensée, la capacité à sortir de la routine ? Tout ça pour pouvoir innover et faire des breakthroughs à tour de bras, breakthroughs qui décoreront ensuite très joliment la vitrine de l'université dans sa course aux classements internationaux ? Je n'ose imaginer (ce serait vraiment trop horrible) que c'est parce qu'en fait il ne faut surtout pas sortir de la routine et faire preuve de liberté de pensée.

Tout cela peut paraître naïf et anecdotique, les effets du néomanagement sur la recherche en particulier ayant déjà été très bien étudiés. Cela peut également paraître dérisoire au vu des problèmes globaux, ou de l'état de la France en 2023. Certes.

Mais il semblerait que nos institutions proches ne mesurent toujours pas le mal que ce management débile de la recherche fait aux jeunes chercheurs. Et même aux plus vieux qui maintenant partent en courant avant d'ouvrir le moindre fichier excel. Il ne s'agit plus seulement de “faire avec”, en inventant rapidement de quoi remplir les formulaires de manière vaguement cohérente. Nous sommes nombreux parmi les “vieux” de l'ESR à l'avoir fait, dans notre rôle de parapluie pour les plus jeunes. Je me souviens d'en avoir même plaisanté, en échangeant avec des collègues les astuces de fabrication rapide (voire automatique, puisqu'on est informaticiens) de plannings de résultats cohérents. Mais il y a des limites à la distanciation qu'on peut prendre face à de telles injonctions. L'absurdité atteint de tels sommets qu'il s'agit maintenant de dire simplement stop!

Il est urgent de ralentir à l'université pour plusieurs raisons. Faire la grève des appels à projet me paraît un bon moyen de ralentir tout en préservant sa santé mentale. Il semble de plus en plus évident que le peu qu'on peut encore faire avec les moyens qui restent est 100 fois plus intéressant, motivant et inventif, que ce que l'on aurait fait une fois s'être contorsionné pour entrer dans le carcan des appels à projet avec leur planning de résultats et leurs évaluations par indicateurs.

@flomaraninchi@pouet.chapril.org

L'université et le changement climatique (texte écrit en juillet 2020, retouché fin août 2020, et plus depuis.)

En plein examen de la LPPR[^1] à l'Assemblée Nationale (merci aux collègues qui supportent le spectacle désolant de cette mascarade pour nous en faire des résumés déjà bien assez déprimants comme ça), le texte qui suit paraîtra peut-être un peu lunaire. Pourtant réfléchir au rôle et à l'avenir de l'université est parfaitement d'actualité au regard des déréglements climatiques et des bouleversements à venir.

Force est de constater que, en ce qui concerne les défis du changement climatique comme sur beaucoup d'autres aspects déjà évoqués par ailleurs, il est difficile d'imaginer une vision de l'université qui soit plus à côté de la plaque que la vision starifiée et précarisée promue par la LPPR. Réfléchir, comprendre et transmettre semble tout simplement devenu ringard.

Nous sommes nombreux, dans le monde universitaire, à être tiraillés en permanence entre deux idées apparemment contradictoires : d'une part le sentiment d'urgence climatique et l'idée que les mesures à prendre pour y faire face ne viennent pas assez vite dans nos environnements de travail, d'autre part le constat que notre métier est devenu complètement fou en s'accélérant au-delà du raisonnable. Nous passons beaucoup de notre temps à faire beaucoup de choses (mal) dans des délais intenables, et avec de moins en moins de moyens, surtout humains. Il s'ajoute à cela une dérive générale vers le management par “indicateurs”. Nous en arrivons parfois à un point caricatural où nous passons un temps considérable à imaginer comment sera mesuré l'impact de travaux pas encore commencés (et que nous savons à l'avance impossibles à réaliser correctement dans le temps imparti). Parmi les chercheurs et enseignants-chercheurs la démarche “slow-science” plait de plus en plus, conduisant à l'idée de sélectionner ce que nous pouvons encore espérer faire bien, avec les moyens à notre disposition, et pas plus. C'est difficile, mais l'alternative est d'y laisser notre santé ou de devenir cynique, ou les deux, et de toutes façons sans avoir pu exercer notre métier de réflexion.

De nombreuses universités dans le monde ont compris que l'urgence climatique devait figurer en bonne place dans leur stratégie, ne serait-ce que pour des questions d'image et d'attractivité vis-à-vis des étudiants. Elles déclarent l'état d'urgence climatique, se retirent de grands projets technologiques jugés inutiles ou néfastes, mettent en place des incitations à limiter les déplacements en avion, réalisent leur bilan de gaz à effet de serre, voire affichent des objectifs de neutralité carbone sur des périmètres variables et parfois avec des échéances aussi proches que 2030. Même si la notion de neutralité carbone n'a pas beaucoup de sens à l'échelle d'une organisation, c'est un signe que les universités commencent à prendre au sérieux les résultats des recherches qui sont faites en leur sein sur le climat.

Dans tous ces plans stratégiques il manque toutefois un objectif absolument essentiel : ralentir et réduire la voilure. Je suis convaincue qu'il est impossible d'atteindre la neutralité carbone, quels qu'en soient le périmètre et l'horizon temporel, sans remettre en cause profondément le fonctionnement actuel de l'université, et en particulier la course folle aux classements, aux financements, etc. L'objectif principal devrait être de ralentir, de faire moins mais mieux, de retrouver le temps de la réflexion, de faire les choses avant d'en inventer les instruments de mesure. Pour préparer l'université de 2030 il nous faut réfléchir à ce que nous voulons et pouvons conserver de notre fonctionnement actuel, tant il est évident que nous ne pourrons pas tout conserver. Il nous faut remettre en cause le globe-trottisme effréné, le pilotage à court terme, les objectifs même de la recherche parfois...

Toutes nos structures académiques sont prises dans ces courses folles dont il est très difficile de s'extraire. Si les objectifs stratégiques liés à l'urgence climatique continuent à s'inscrire dans le fonctionnement actuel des universités, en se coulant dans le moule des appels à projet avec dossiers de 20 pages, livrables à court terme et évaluation par indicateurs, si l'urgence climatique nous conduit à ajouter de nouvelles courses à celles dans lesquelles nous sommes déjà engagés collectivement, alors tout cela est voué à l'échec. Définir dans l'urgence des axes stratégiques liés à l'urgence climatique est en soi un symptôme que l'on ne s'attaque pas aux bons problèmes.

Pour résumer ce qui précède : il est urgent de ralentir, à l'université comme ailleurs. C'est une idée paradoxale. En termes d'urgences liées à notre environnement, nous sommes sans doute tous un peu déformés par l'imaginaire des films catastrophe. Quand l'urgence prend la forme d'une comète qui va percuter la terre dans deux ans, nous nous laissons prendre par le scénario qui montre tous les scientifiques du monde se mettant à travailler vingt heures par jour, en collaboration parfaite et immédiatement dans la bonne direction, pour trouver une solution technologique. Trois minutes avant l'impact la comète est détruite dans un grand feu d'artifice et le monde est sauvé. Cet imaginaire du chercheur qui en cas d'urgence se transforme en acteur à impact immédiat, qui ne se trompe jamais de direction, c'est très tentant, mais peu réaliste. Pour l'urgence environnementale ça ne va malheureusement pas se passer comme ça.

En tant qu'universitaire grenobloise, ayant repris ce texte dans la fournaise de mi-août, je ne peux m'empêcher de penser que lorsqu'il fera 50 degrés à Grenoble en été, il deviendra difficile de se passionner pour le classement de Shanghaï, et qu'avoir passé du temps à définir des indicateurs de verdissement nous paraîtra bien dérisoire. Cet été 2020 est aussi venu après deux mois de confinement total puis deux mois de retour partiel et difficile au rythme d'avant COVID. Les personnels sont épuisés, et cela seul devrait nous faire réfléchir aux illusions de continuité, pédagogique en particulier. Comment croire que nous pourrons maintenir l'activité actuelle des universités dans un environnement bouleversé, ou ne serait-ce que cette année 2020-2021 en cas de nouvelle vague de COVID ? La LPPR qui nous est imposée à marche forcée, en mode TINA, est un bon résumé de tout ce qu'il ne faut pas faire, pour l'université, mais également bien au-delà.

Nous rêvons d'une université qui se poserait en précurseur en proposant, sinon de freiner brutalement toute l'activité, du moins de ménager un espace pour les personnels qui veulent ralentir et réfléchir à ce que nous pouvons et voulons préserver de notre activité. Si la course folle du monde académique est telle que nos grandes universités pluri-disciplinaires construites au prix de tant d'efforts ne peuvent pas se permettre d'accueillir en leur sein la réflexion sur un autre monde possible, si même à l'université on ne peut pas se permettre de freiner la course et de retrouver le temps de la réflexion, alors où cela pourrait-il avoir lieu ?

[^1]: Loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur

@flomaraninchi@pouet.chapril.org

Perroquets stochastiques ou “Mansplaining-as-a-Service” ?

Disons-le tout de suite, ma référence en matière de grands modèles de langage, c'est le papier On the Dangers of Stochastic Parrots: Can Language Models Be Too Big? qui a déjà 2 ans, et qui alertait sur les dangers de ces objets. Les autrices Emily Bender, Timnit Gebru, Angelina McMillan-Major et Margaret Mitchell sont des sources d'analyses très éclairantes depuis le lancement de ChatGPT.

A mon avis les problèmes potentiels immédiats liés à l'évaluation d'étudiants dans le cadre scolaire ou universitaire sont loin d'être les plus graves suscités par l'avénement de ces “outils”. Cela dit, il va bien falloir faire quelque chose, prendre position, ne fût-ce que parce que lire la production de ChatGPT est assez pénible pour un enseignant. Les textes auxquels j'ai été confrontée sont absolument et parfaitement corrects du point de vue de l'orthographe et de la grammaire, mais aussi parfaitement creux, avec un ton péremptoire ne laissant aucune place au doute ou à la nuance. D'où la 2ème citation ci-dessus, due à Christine Lemmer-Webber : ChatGPT, c'est du Mansplaining-as-a-Service.

Mon expérience en janvier 2023

J'ai été confrontée (selon toute probabilité) aux productions de ChatGPT pour la première fois en lisant des comptes-rendus de conférences en janvier 2023. Les conférences avaient eu lieu entre septembre et novembre 2022, le compte-rendu était dû le 4 janvier 2023, ChatGPT a été jeté dans la nature fin 2022. Les étudiant.e.s qui n'étaient pas complètement débranché.e.s pendant les vacances de noël ont vu le potentiel. Et comme nous n'avions pas encore eu le temps (et pour cause) d'y réfléchir posément et d'édicter des règles à ce sujet, je n'ai rien à leur reprocher. J'avais noté explicitement dans les consignes de l'exercice :

... tout ce que vous écrivez doit être strictement personnel. C’est ce que vous avez retenu de la conférence. A la rigueur, si vous avez besoin d’une référence, notez soigneusement d’où elle vient, et mettez en évidence la portion de texte ou l’image qui n’est pas de vous. Une recopie non signalée de sources externes entraîne un 0.

Comme je reçois les textes sous forme numérique, il est très facile de copier-coller dans google les portions de texte qui sautent aux yeux par leur rupture de style, de trouver ainsi la source externe non signalée, ce qui prouve l'infraction. Maintenant, que penser de portions de texte qui sautent également aux yeux par leur rupture de style, mais qui ne correspondent pas à du texte trouvable facilement sur le web ? Dans le cas de mes comptes-rendus de conférences, je n'ai eu aucun état d'âme, un outil comme ChatGPT étant bien incapable de produire quoi que ce soit de précis par rapport à des conférences orales sans trace sur le web, et datant qui plus est de l'automne 2022. La conclusion (et la note fort médiocre qui en découle) c'est : c'est tellement creux et hors-sujet que ça pourrait être du ChatGPT[^2]. Mais il se pourrait que, d'une part l'outil s'améliore[^1], d'autre part les étudiant.e.s apprennent à l'utiliser de manière plus subtile que dans cette première expérience à chaud. Que faire en tant qu'enseignant ?

Cas particulier des enseignant.e.s en informatique

A ce point de mes réflexions il faut préciser que j'enseigne l'informatique, ce qui a plusieurs conséquences :

— Les outils génératifs comme ChatGPT sont aussi utilisés pour produire des programmes dans un langage informatique. Ce n'est pas du tout le sujet de cet billet.

L'activité de rédaction demandée aux étudiant.e.s n'est pas un but en soi. Je ne prétends pas que ce qui suit pourra aider les collègues dont la discipline s'apprend par la production de textes écrits. Dans mon expérience professionnelle, même en allant jusqu'à la thèse, le texte écrit n'est qu'un moyen de transmettre de l'information technique et scientifique de manière claire, concise, correcte, très structurée, avec références, etc. La qualité littéraire n'est pas le critère majeur, même si on apprécie de lire des choses bien écrites.

— Il est possible d'expliquer aux étudiant.e.s ce qui est caché sous le capot d'outils tels que ChatGPT, afin de démystifier la chose.

— En tant qu'enseignants en informatique, il faut absolument que nous évitions de personnifier la chose, que nous nous interdisions de dire des choses comme : “ChatGPT s'est trompé sur une référence”. ChatGPT ne se “trompe” pas pour la bonne raison que cet objet n'est pas construit pour exprimer une vérité, quelle qu'elle puisse être. Même dans le cas où l'outil produirait des fautes d'orthographe, on ne pourrait affirmer qu'il “se trompe”. Il faudrait dire dans ce cas “l'outil produit des textes contenant des fautes d'orthographe”. Pour résister à la personnification parfois inconsciente, on peut s'appuyer sur les travaux d'Emily Bender qui dit par exemple : Mind your own credulity [19].

— Il est primordial d'expliquer à nos étudiant.e.s, justement parce qu'ils et elles peuvent comprendre la technique et seront peut-être amené.e.s à y contribuer, que la vision purement technique de la chose est très très insuffisante. A ce sujet j'ai beaucoup apprécié ce texte : https://autumm.edtech.fm/2023/01/18/prior-to-or-instead-of-using-chatgpt-with-your-students/. Je prévois de le faire lire à tout groupe à qui je demanderai un texte technique, et qui pourrait être tenté par l'utilisation de ChatGPT.

— En tant qu'informaticien.ne.s on risque d'espérer (voire de contribuer à) l'avénement d'un outil anti ChatGPT (comme https://gptzero.me/), qui permettrait de simplement interdire l'usage de ChatGPT en espérant pouvoir le prouver. Je refuse tout à fait de me placer dans cette hypothèse de course aux armements, on est déjà largement servis avec la cybersécurité. Décider l'interdiction de ChatGPT, c'est se préparer des situations difficiles lorsqu'on n'aura que de fortes présomptions. Et pourquoi faire confiance à un outil de détection ? Pourquoi accepter d'utiliser ces outils de détection alors qu'ils ont les mêmes défauts que ce qu'ils cherchent à contrer ?

Position personnelle

Tout ceci étant posé, je reformule la question : une fois expliqués les à-côtés non techniques du déploiement des outils de type ChatGPT (avec le message : la bonne raison de ne pas s'en servir, ce n'est pas le risque de se faire prendre lors d'une évaluation, mais les dégâts engendrés par ces outils), comment en refuser ou au moins limiter drastiquement l'usage ?

Personnellement je tiens absolument à éviter de tomber dans le piège de l'interdiction. Pour tous les cours dont j'ai la responsabilité, les examens se font “tous documents autorisés”. Je ne travaille plus jamais sans être branchée à une grande quantité de sources sur le web, et j'estime que travailler comme ça serait légitime aussi pour les étudiant.e.s au niveau où je les ai. La seule raison pour laquelle on ne peut pas faire des examens sur machine avec accès internet, c'est qu'il serait alors possible de demander de l'aide à une amie plus avancée.

Cela dit, l'usage de ChatGPT est à considérer plutôt dans le cadre de travaux “à la maison”. Il me semble que la première chose à faire est d'en discuter avec les étudiant.e.s pour fixer des bornes. Pour l'instant j'ai envie de les convaincre que vu la nature de ce qu'on leur demande dans nos diverses évaluations, ChatGPT ou un autre modèle génératif n'ont aucune chance de fournir des contenus intéressants, et que nous préférerons toujours des textes mal écrits avec du fond technique, à des textes bien écrits mais totalement creux.

Quelques idées à explorer

— Une première idée est de demander au public concerné, de manière anonyme : Si vous avez été ou êtes tenté.e d'utiliser ChatGPT pour un rendu scolaire ou universitaire, quel avantage en espérez-vous ? (à supposer que ce ne soit pas interdit, ou pas repérable à coup sûr) ?. Avec comme réponses possibles : — Pour écrire en bon français, ce qui m'est difficile et me prend beaucoup de temps sinon — Pour aller plus vite parce que je trouve l'exercice sans intérêt — Pour trouver quoi dire dans l'introduction — Pour m'aider à démarrer — Pour trouver l'information (j'avais perdu mes notes, je n'avais pas assisté à la conférence ou au cours) — Autre (préciser)

— Une deuxième idée est de leur faire comparer des productions ChatGPT et des textes écrits par des étudiant.e.s, pas nécessairement les plus doués en écriture. Cela devrait suffire à leur faire réaliser à quel point les premières sont vides d'information par rapport aux deuxièmes. J'aime bien les recommandations sous forme de contre-exemples.

— Une troisième idée est de faire un jour un cours entier (pas trop long quand même) basé sur des contenus produits par ChatGPT. Même idée du contre-exemple que ci-dessus, peut-être un peu trop en style vengeance par anticipation. Et puis ça suppose d'utiliser l'outil, ce que pour l'instant j'ai réussi à ne pas faire du tout. Ce qui est un peu hypocrite puisque j'utilise et commente les expériences de mes collègues.

Quelques décisions d'interdiction ou non, ailleurs

Annexes et documents

Notes

  • [^1] L'outil va-t-il s'améliorer ? Encore faudrait-il décider ce que nous considérerions comme une amélioration. Les articles [13] et [17] sont assez éclairants de ce point de vue. En mode humoristique, on lira aussi [18]. En tant qu'informaticienne toujours tentée par la récurrence, je ne peux pas m'empêcher de me demander ce que donnera le web quand la génération n de ChatGPT aura été entraînée sur les productions des générations 1 à n-1. On chérira alors les erreurs de syntaxe comme un signe certain qu'on est tombé sur un authentique morceau de production intellectuelle originale... Et si l'outil s'améliore dans le sens de la vraisemblance syntaxique, on en reviendra à la tradition orale.

  • [^2] On m'a déjà demandé des exemples, je n'en donnerai pas ici, sauf si des discussions avec les étudiant.e.s permettent de construire un petit article de démonstration, contenant des extraits de leur production (avec leur permission).

Références scientifiques

Dans la presse ou chez des collègues

@flomaraninchi@pouet.chapril.org

Il y a bientôt 2 ans j'écrivais le billet De la paperasse à la numérasse

A la réflexion, je n'y change pas un mot :–)

J'ai l'honneur de figurer dans le magnifique ouvrage Le dico des mots extraordinaires

Et aussi dans quelques articles, comme :

Et aussi dans quelques pompages sans citation et sans vergogne :

@flomaraninchi@pouet.chapril.org

C'est l'histoire d'un village autrefois prospère, alimenté en eau par une source de petit débit mais toujours fiable. Cela se savait jusque dans les contrées au-delà des montagnes et des océans, des jeunes gens en venaient pour s'installer et remplacer les anciens quand ceux-ci prenaient un repos bien mérité. Petit à petit le climat a changé, la source s'est réduite à un filet d'eau. Il y a maintenant de longues périodes de sécheresse sur une vaste zone, les villageois sont au bord de mourir de soif, les jeunes ne veulent plus rester au village et les anciens ne sont plus assez nombreux pour cultiver toutes leurs terres. Or les colporteurs leur ont narré la légende du Dieu AhAhPé, venue de par-delà les montagnes et les océans, et peu à peu ils ont adopté ses coutumes et préparent avec énergie et ferveur la procession dans les rues du village. Le jour dit, à l'heure Dèdelaïne mentionnée dans les grimoires, ils défilent en psalmodiant les versets d'excellence et en portant la statue d'Heuhère Cé, fille aînée du Dieu AhAhPé et connue pour ses bienfaits en matière liquide.

Quelque temps plus tard après un roulement de tonnerre l'eau tombe d'un coup en trombes, toute au même endroit dans le potager d'une villageoise. Elle invite le village qui s'y rassemble et danse sous la pluie bienfaisante en criant de joie, toutes affaires cessantes. Et puis il faut bien retourner aux occupations en cours, nourrir les bêtes et recueillir lentement et avec délicatesse les fruits cultivés depuis longtemps. Mais les villageois se rendent compte, désemparés, qu'il est impossible de ne pas perdre toute cette eau, il n'y a pas de seaux pour la stocker durablement, seulement des passoires à trous fins qui laissent l'eau s'enfuir. Il faut lui trouver un usage tout de suite. Mais il y a une limite à la quantité d'eau qu'on peut boire, même à tout un village. Le conseil des anciens se réunit et décide en urgence d'inviter des amis et des inconnus venus de pays où il ne pleut pas pour boire avec les villageois, à toute allure. Il se perd quand même une certaine quantité d'eau que les villageois regardent tristement filer dans la rivière, hors d'atteinte. Et puis ils se rendent compte qu'ils ont délaissé leurs autres occupations pour s'occuper de cette eau miraculeuse, il y a des choses qui ne marchent plus très bien dans le village, certains fruits amoureusement cultivés se sont gâtés. Ils se disent qu'on ne ne les y reprendra plus. Mais quand ils recommencent à sentir la soif ils se remettent à implorer le Dieu AhAhPé de bien vouloir faire pleuvoir par chez eux.

Et tout ceci est bien sûr agravé par le changement climatique.

@flomaraninchi@pouet.chapril.org

A propos des algorithmes qu'on a dans la tête

On lit beaucoup sur mastodon que l'absence d'algorithme (à part le tri par ordre chronologique) permet d'éviter toutes sortes de défauts observés dans la mise en avant de contenus au détriment d'autres, comme cela se passait sur l'autre plateforme.

Encore faudrait-il être sûrs qu'on ne reproduit pas inconsciemment le fonctionnement ou au moins l'effet des dits algorithmes. On est aidés en cela par l'absence d'informations détaillées ou facilement accessibles sur qui suit qui, combien de likes et de re-pouets un message a déjà eus, etc. Mais on n'est pas totalement à l'abri de tous les effets d'amplification. Depuis environ 9 mois, date de la création de mon compte mastodon non anonyme @flomaraninchi@pouet.chapril.org, j'essaie de réfléchir à l'algorithme que j'ai dans la tête pour reconstruire mon réseau[^1]. Comme ce sont des réflexions un peu décousues pour le moment, voici un essai de résumé.

Prenons un exemple : un mastodonien X (je le mets au masculin par vraissemblance statistique) a 20k abonnés, auxquels je n'appartient pas. Mais je suis abonnée à Y1, Y2, ..., Yn qui eux ou elles sont abonné-e-s à X. X fait un message m intéressant, ou au moins pile dans les sujets du jour, bref un message qui attire l'attention. Un certain nombre des Y1, ..., Yn relaient ce message m. Je le vois donc passer plusieurs fois. Est-ce que je me dis “X a dit m, il a l'air intéressant, je vais m'abonner” ? Ou bien au contraire, en constatant que de toute façon je ne “rate” pas les messages populaires de X, je décide que je n'ai pas besoin de m'abonner ? Eh bien c'est là que je regarde combien d'abonnés X a déjà, pour m'en servir d'anti-critère. Si je constate qu'il a déjà de très nombreux abonnés, je me dis que c'est bien suffisant. Si au contraire il a quelques centaines d'abonnés ou carrément moins, je me dis que je suis tombée pile au moment où son message a été relayé, que c'est un peu le hasard, et que je vais me donner une chance de le lire directement. Donc je m'abonne (sauf s'il n'y a aucune info sur le compte, auquel cas je passe mon chemin).

J'essaie donc depuis le début d'aplatir en quelque sorte la structure du graphe dans lequel je me trouve, pour éviter d'être trop près des hubs qui cachent le reste. Je m'abonne presque systématiquement aux petits comptes qui viennent de naître et qui ont fait l'effort d'un ou deux pouets de présentation. En revanche les pouets du genre : “OMG, @trucmuche est là, suivez-le !”, et quand on va voir le profil de Trucmuche il y a très peu d'information et déjà 10k abonnés, comment dire... c'est un peu un repoussoir.

Ce matin, j'ai répondu à @marie_peltier@mastodon.social (qui s'inquiétait, à juste titre je crois) du risque de “reproduire l’horrible proportion twiterienne (3 hommes pour une femme)“[^2].

J'ai dit : Personnellement j'applique une règle simple pour choisir à qui je m'abonne ici, par exemple quand je vois passer une liste de journalistes nouvellement arrivés : je m'abonne aux femmes seulement. Je fais le pari que je verrai les contenus les plus intéressants des hommes de toute façon, relayés par qq'un d'autre. C'est une expérience de rééquilibrage.

Je prends volontiers le “risque” de m'enfermer dans une bulle féminine et féministe. Ce serait peut-être reposant, à l'abri des diverses formes de pénisplication[^3] ! Mais je crois que dans le monde tel qu'il est, de toute façon on ne risque pas de passer à côté de ce que disent les hommes. Les efforts à faire sont dans le sens inverse : donnons de la visibilité aux femmes (et à toutes les minorités). Et essayons collectivement de construire un graphe plus “plat”.

Récemment je me suis abonnée à : quelques bibliothécaires, une ou deux femmes en politique, des femmes journalistes, des femmes scientifiques, quelques Grenoblois-e-s, un raton laveur, des écrivains mexicains, des coopératives diverses, un gardien de parc au Yellowstone qui poste de spendides photos d'animaux, plusieurs photographes qui participent au #BridgesOfMastodon, ...

[ Edité le 26/12/2022 : je regarde ce que me donne l'outil followgraph et ça me conforte dans mon “algorithme” ci-dessus : – Au début j'ai des gens à quelques milliers d'abonnés, et déjà suivis par une centaine de mes contacts. Donc ça ne sert vraiment à rien que je m'abonne. – A la fin de la liste il y a des comptes encore gros, et une trop grande proportion d'hommes et d'informaticiens (ou journalistes tech...). Donc des gens dont on ne risque pas de rater les messages. ]

[ Edité le 30/12/2022 : il y a une autre caractéristique très importante de mon algorithme personnel, que j'appliquais déjà sur cuicui : ne pas m'abonner, ou alors seulement après très mure réflexion, à un compte qui a par exemple 1000 abonnés et 20 abonnements. Ce que je cherche ici, c'est la variété des contenus et des voix, et quelqu'un qui n'a que 20 abonnements n'a pas grand chose à relayer à part sa parole personnelle. Encore une fois, s'il a 1000 abonnés, je ne risque pas de rater cette parole, à supposer qu'elle vaille la peine qu'on s'y attarde plus que sur une autre. ]

[^1]: Je suis sûre que les chercheurs et chercheuses dans ce domaine ont des cadres théoriques pour réfléchir à ce sujet. Si vous en faites partie et passez par ici, je veux bien des pointeurs sur des choses à lire. [^2]: Cf. le message d'origine. [^3]: Merci aux Québécois pour cette magnifique francisation du Mansplaining

@flomaraninchi@pouet.chapril.org