Errances

Réécriture du monologue de Célia Tali, joué au Festival Allonzy en Juillet 2019

Le lieu acceptable de l'existence est en moi. C'est une sensation d'unicité dans le corps. Un endroit indestructible et imperturbable, qui fonde le moi. tout le monde a besoin de temps pour le retrouver.

Je cherche un endroit où il serait supportable de vivre. Vous en connaissez un ?

Quand j'étais petit'e, je me couchais souvent par terre, un peu n'importe où. Par terre, c'était bien. J'aimais la sensation de m'étaler sur tout mon long, face au ciel. J'aimais être près du sol. Ce n'est pas que je suis terre à terre, non. C'était pour mieux rêver. Vous auriez vu mes yeux comme ils sortaient des orbites tellement je voulais le visiter, le ciel. Wt aussi, j'étais maladroit'e. Donc au moins, je ne tombais pas plus bas. J'aimais être à plat.

Aujourd'hui, plus question d'être à plat. Il faut rester bien à la verticale, il faut à tout prix garder la forme, le teint frais, la fimousse ravie, la bouche en bec de canard. Le menton si haut que tu ne vois plus la route s'ouvrir devant toi. Les épaules en arrière, à en perdre l'équilibre. Le corps éclaté. si éclaté que tu ne sais plus où donner de la tête, happé ici et là. Dès que tu arrives à te réapproprier ton propre corps, à trouver une sérénité, tu te fais déloger par ce rythme frénétique.

Alors voilà, c'est la vie. Mais ils sont partis où tous les rêves ? Toi aussi t'as oublié les tiens ?

DANSE !

Quand je suis devenu'e adulte, je me souviens de cette sensation. J'étais incapable de bouger, je n'avais plus d'énergie. Il fallait à tout prix que je foute le camp. Tout à coup, c'est devenu insupportable de rester là et de continuer à faire semblant, de porter ce masque et d'être cette personne. Il y avait un dysfonctionnement quelque part, mais je n'arrivais pas à savoir où.

Et puis j'ai réfléchi. déjà, je ne me reconnaissais pas dans ce courant puant qui rend misérables les célibataires, les homosexuel'les, les locataires, les femmes poilues, les vieux, les pauvres, les fous et les autres.

Je n'arrivais plus à assumer tous mes rôles. Je n'étais ni exemplaire, ni bien comme il faut, encore moins capable de travailler productivement et avec un esprit de compétition. Je n'arrivais plus à être ce qu'on attendait de moi. Mais moi, qu'est ce que j'attendais de moi ?

Un jour, quelqu'un m'a dit : tu sais, si tu plaques tout, après ce sera très dur de revenir, de reprendre les choses là où tu les auras laissées. Il va falloir tout réorganiser. Réfléchis bien ! Et puis j'ai réfléchi, encore. Je me suis barré'e. J'ai tout laissé parce qu'il n'y avait plus assez de place pour penser, pour attendre, pour s'ennuyer, pour aller voir la mer, pour dire bonjour. Il y avait bien trop longtemps que je n'avais pas entendu le chant des oiseaux. Cette dernière raison, c'est elle qui m'a décidé à partir.

DANSE !!

Pendant cette pause, pendant que je questionnais le sens de ma vie, j'ai reconnu cette énergie primaire et fulgurante. Celle de mon corps d'enfant, celle qui fait sauter, tourner, rebondir. C'était la première fois dans ma vie d'adulte que je faisais le lien avec mon corps d'enfant. Mon corps éclaté s'est soudain unifié

Je pourrais coucher par terre ? Cela fait si longtemps que j'ai mis mon corps dans un étau qu'elle est déjà là, l'aventure. Mais à quel moment j'ai bien pu oublier ce corps ? Il est là, le lieu acceptable de l'existence.

Si je m'agite de cette manière, c'est pour faire transpirer, pour que ce soit poreux, pour te contaminer. Pour qu'on puisse sentir toustes comme on peut se sentir vivant autrement et avec plus d'intensité qu'on l'imagine.

En fait, il faut se mettre en mouvement pour que ce lieu acceptable de l'existence s'étende, encore et encore, dans tout ton corps et puis peu à peu, à l'extérieur.

Alors maintenant, va. Cherche ton espace indestructible, celui qui t'ancre dans le présent. Celui qui te permet de rester toujours solide, et aussi perméable à la pluie, aux vents, aux bruits des vagues et aux sourires des autres.

Au final, peut être que tu choisiras de prendre des chemins sinueux. Mais si tu t'allonges, face au ciel, tu n'auras besoin de rien d'autre pour te retrouver.

DANSE !!!

Mathieu-Flâneur mate [at] e.email