Angèle Lewis

Poésie, cotylédons, paillettes et compagnie. Féministe aussi. | @angele.lewis.poesie

[Neige]

La neige tombe Comme la cendre D'un volcan arctique et fantastique Dont les flots de lave Ne seraient que des nuages blancs Jouant à chat avec le vent

Paysage fantôme Où la mort n'existe pas Où les pierres chantent en silence Où les plantes dansent Légères Sous leur manteau de fourrure d'eau Dentelle de glace en boucles d'oreilles

Les arbres somnolent doucement Les paupières fermées Par un matelas blanc

[L'eau courante]

La voie aisée Ferme Et claire Comme l’eau courante qui file malgré les roches Qui avance non pas dans la direction décidée Mais dans la direction qui va Portée par la gravité J’avance les faits Sans peur et sans reproche Je vais Dans la direction qui coule Comme l’eau courante qui file malgré les roches Peut-être arrêtée un temps par un lac Salé Puis Fille d’eau douce Je file d’une caresse aussi légère que le duvet d’une abeille Caresse piquante pour qui ne voit que le dard C’est ainsi Portée par la gravité J’avance les faits Sans peur et sans reproche Je vais

[Jour d'anniversaire]

Cela commence par une tranche de panettone Et un thé Au goût de tartine grillée Cela continue avec l'album “Debut” de Björk Comme si c'était le début D'une nouvelle ère Qui me donne pourtant l'envie d'écouter un air ancien Une musique enracinée dans le temps Puis cela se poursuit par un bain Chaud Chaud Chaud Au point que je me tiens suspendue au-dessus de l'eau Genoux repliés comme une enfant patiente/impatiente Goûtant la vapeur qui monte Jusqu'à tremper les pieds Les ressortir vite Les tremper à nouveau Sentir des picotements sur ma peau

Je me plonge ainsi en pointillés À la lumière des bougies posées sur le bord Dont les petites flammes saluent Le brouillard qui joue dehors

Je lis les poèmes de Johan Grzelczyk Qui parle des jours d'incendies Moi qui suis maintenant tout à fait dans l'eau

Je liste mes envies Un vélo forgé dans l'éclair Un micro pour garder l'empreinte des murmures de la neige Des CD transpirants de rock grisant de jazz chaloupé d'ambiances allongées de mélodies pour dilettante Une exposition dissidente un spectacle interdit un concert clandestin un restaurant caché derrière une grande armoire comme aux temps non-révolus de la prohibition Une fête énorme pieds nus dans l'herbe sous le champ des étoiles

Trente ans Je ne me suis jamais – je crois – sentie aussi enracinée Aussi prête à éclore pour recevoir l'automne Je sens l'eau qui coule dans mes veines Et le vent qui m'ébouriffe

Le feu au creux du ventre Remonte chaque année un peu plus Dans ma voix Dans mes yeux Dans ma tête

Les jours d'incendie Seront vifs Éclatants Et bien sûr D'une joie ravageuse

[Sang blague]

Soupe soupe soupe Les ennuis servis à la louche La bouche Ne ferme plus complètement Je dors les lèvres ouvertes À la guérison Priant pour ne pas avaler en ronflant Une araignée qui passe

Je fais des blagues Sans trop sourire Je vois la vie en rouge et bleu Couleurs du sang qui tantôt inonde mes gencives Tantôt s'étend en nuage sous ma peau Sur mon menton Pour marquer le coup

La douleur pulse un peu Aimable et discrète La langue joue avec les bagues Nouvelles locataires de mon palais buccal Salutaires, mais irritantes

Muqueuses gonflées mais sans désir Je peine à embrasser Craignant même le choc Avec la lèvre aimée

[Accident]

J'ai la main qui tremble Frisson de froid Frisson de peur Frisson de choc De chute En avant Les dents Ont embrassé le sol Terreux et feuillu – j'eus cru l'humus plus moelleux – Petite danse des incisives Canines Et molaires Un bout s'envoie en l'air Vite Récupéré au creux de la main

Valse à trois temps Chute Sommeil Marche

A la maison Au local d'SOS dentiste Aux urgences

Pitié-Salpêtrière Ne fermez pas la bouche, je vous en prie C'est bien, tu es courageuse

Valse de quelques dents Vers l'avant Valse des lumières sous mes yeux Sous mes pas Qui flanchent

On m'assois Dans un fauteuil roulant aux allures de trône

Derrière moi, on chuchote mon nouveau prénom “Le trauma”

[Écrire à la lumière]

Aux identités multiples de celles et ceux qui écrivent

Écrire à la lumière Projette une part d'ombre

Tremper sa plume au rayon de lune S'y accrocher Comme l'araignée à son fil

Profiter de la lueur qui se faufile Pour tracer une ligne d'encre Trait de lumière Qui file Se ficher dans la pénombre Comme une flèche enflammée Atteint sa cible en brûlant

Le fil du texte Comme celui de l'épée Coupe cellui qui s'y frotte

On se dessine un profil avantageux Ethos robuste et protecteur – prometteur - Poéte·sse maudit ou romantique Toujours un peu héroïque Masque de papier qui brûle à peine gratté

Le stylo est un silex Les étincelles nous échappent Nous rappellent La forme fragile de nos visages maladroits

Les mots Nous rappellent En esquissant un sourire aussi doux qu'amusé Que nous ne choisirons Ni ne saurons Jamais Tout à fait Qui nous sommes

[A la lumière du brouillard]

Le brouillard Diffuse une lumière Presque orageuse Floue Humide Orangée Qui vient dorer Les feuilles déjà dorées Par l'automne A cela s'ajoute L'odeur du chocolat chaud Qui flotte à l'intérieur Comme la brume au dehors

Une petite rose tardive S'accroche encore à son rosier

[Allumer les étoiles]

A Rachel, Jupiter et Saturne

Je veux arracher à l'ombre sa lumière Me balader sur la face cachée de la lune Avec une lampe torche Lever le voile Révéler les aspérités

Le noir rend tout trop lisse

Comme les poissons se caches sous la roche Les pensées sont insaisissables Quand elles se fondent Dans le sable abyssal – inconscient – Du fond des océans

Il est temps D'appeler la lumière Des étoiles doubles De l'hiver

[Réflexion]

Je réfléchis Face au miroir Narcisse Je me vois mélangée en reflets D'esprit et de corps

Je chasse la surface Et m'enfonce En eaux profondes

Je ne souris pas

J'ai les yeux fermés Pour me couler dans l'onde L'épaisseur Et le silence

Je me sens nette Sans le regard des autres Qui jettent le trouble Malgré eux Malgré moi

Pas de regards Si ce n'est le mien Je me compose trop Dans le reflet de l'autre

Alors Je me dépose dans le fond Je m'y fond Seule au sol Sous le poids de l'eau Affleurant La douceur de la vase Et des algues Et des petits poissons

C'est dans ce silence que je peux me perdre Quand j'ai peur De perdre qui je suis

Reflet abîmé Fêlure du miroir Aux allures de canyon Une plaie dans la terre qui tremble

J'y tombe J'y plonge Comme si sonder la plaie Était le chemin pour savoir comment la soigner

[Faire face à l'ombre]

Je cherche à aller plus loin Dans cet état Qui tantôt M'avale et me noie Tantôt Me laisse hébétée sur la rive Puis heureuse D'atteindre une terre nouvelle Avant de chuter à nouveau Sous le regard D'une plante carnivore

Je n'ai pas peur d'être engloutie dans la nuit Elle m'enveloppe de brume, d'étoiles et de silence

Je n'ai pas peur de descendre dans les sous-sols sombres Refuges clandestins, labyrinthes de recoins où l'on peut Se cacher

Je n'ai pas peur de m'enfoncer dans la forêt Des renard qui creusent la terre Des insectes qui dentellent le sol

Je n'ai pas peur De traverser cet état noir Qui me presse De larmes Qui donne à voir mon corps Dans l'ombre Et mes failles A la lumière

Car je suis la feuille et la terre qui tremblent Pour renverser racines et cimes Mettre le monde à l'envers Révéler des passages Enfouis Et oubliés Il y a longtemps

Je cherche A aller plus loin Je n'ai pas peur du noir Je préfère la tristesse et l'angoisse A des illusions de sourires Qui veulent faire croire Que tout va bien