view[Neige]
La neige tombe
Comme la cendre
D'un volcan arctique et fantastique
Dont les flots de lave
Ne seraient que des nuages blancs
Jouant à chat avec le vent
Paysage fantôme
Où la mort n'existe pas
Où les pierres chantent en silence
Où les plantes dansent
Légères
Sous leur manteau de fourrure d'eau
Dentelle de glace en boucles d'oreilles
Les arbres somnolent doucement
Les paupières fermées
Par un matelas blanc
view[L'eau courante]
La voie aisée
Ferme
Et claire
Comme l’eau courante qui file malgré les roches
Qui avance non pas dans la direction décidée
Mais dans la direction qui va
Portée par la gravité
J’avance les faits
Sans peur et sans reproche
Je vais
Dans la direction qui coule
Comme l’eau courante qui file malgré les roches
Peut-être arrêtée un temps par un lac
Salé
Puis
Fille d’eau douce
Je file d’une caresse aussi légère que le duvet d’une abeille
Caresse piquante pour qui ne voit que le dard
C’est ainsi
Portée par la gravité
J’avance les faits
Sans peur et sans reproche
Je vais
view[Jour d'anniversaire]
Cela commence par une tranche de panettone
Et un thé
Au goût de tartine grillée
Cela continue avec l'album “Debut” de Björk
Comme si c'était le début
D'une nouvelle ère
Qui me donne pourtant l'envie d'écouter un air ancien
Une musique enracinée dans le temps
Puis cela se poursuit par un bain
Chaud
Chaud
Chaud
Au point que je me tiens suspendue au-dessus de l'eau
Genoux repliés comme une enfant patiente/impatiente
Goûtant la vapeur qui monte
Jusqu'à tremper les pieds
Les ressortir vite
Les tremper à nouveau
Sentir des picotements sur ma peau
Je me plonge ainsi en pointillés
À la lumière des bougies posées sur le bord
Dont les petites flammes saluent
Le brouillard qui joue dehors
Je lis les poèmes de Johan Grzelczyk
Qui parle des jours d'incendies
Moi qui suis maintenant tout à fait dans l'eau
Je liste mes envies
Un vélo forgé dans l'éclair
Un micro pour garder l'empreinte des murmures de la neige
Des CD transpirants de rock grisant de jazz chaloupé d'ambiances allongées de mélodies pour dilettante
Une exposition dissidente un spectacle interdit un concert clandestin un restaurant caché derrière une grande armoire comme aux temps non-révolus de la prohibition
Une fête énorme pieds nus dans l'herbe sous le champ des étoiles
Trente ans
Je ne me suis jamais – je crois – sentie aussi enracinée
Aussi prête à éclore pour recevoir l'automne
Je sens l'eau qui coule dans mes veines
Et le vent qui m'ébouriffe
Le feu au creux du ventre
Remonte chaque année un peu plus
Dans ma voix
Dans mes yeux
Dans ma tête
Les jours d'incendie
Seront vifs
Éclatants
Et bien sûr
D'une joie ravageuse
view[Sang blague]
Soupe soupe soupe
Les ennuis servis à la louche
La bouche
Ne ferme plus complètement
Je dors les lèvres ouvertes
À la guérison
Priant pour ne pas avaler en ronflant
Une araignée qui passe
Je fais des blagues
Sans trop sourire
Je vois la vie en rouge et bleu
Couleurs du sang qui tantôt inonde mes gencives
Tantôt s'étend en nuage sous ma peau
Sur mon menton
Pour marquer le coup
La douleur pulse un peu
Aimable et discrète
La langue joue avec les bagues
Nouvelles locataires de mon palais buccal
Salutaires, mais irritantes
Muqueuses gonflées mais sans désir
Je peine à embrasser
Craignant même le choc
Avec la lèvre aimée
view[Accident]
J'ai la main qui tremble
Frisson de froid
Frisson de peur
Frisson de choc
De chute
En avant
Les dents
Ont embrassé le sol
Terreux et feuillu
– j'eus cru l'humus plus moelleux –
Petite danse des incisives
Canines
Et molaires
Un bout s'envoie en l'air
Vite
Récupéré au creux de la main
Valse à trois temps
Chute
Sommeil
Marche
A la maison
Au local d'SOS dentiste
Aux urgences
Pitié-Salpêtrière
Ne fermez pas la bouche, je vous en prie
C'est bien, tu es courageuse
Valse de quelques dents
Vers l'avant
Valse des lumières sous mes yeux
Sous mes pas
Qui flanchent
On m'assois
Dans un fauteuil roulant aux allures de trône
Derrière moi, on chuchote mon nouveau prénom
“Le trauma”
view[Écrire à la lumière]
Aux identités multiples de celles et ceux qui écrivent
Écrire à la lumière
Projette une part d'ombre
Tremper sa plume au rayon de lune
S'y accrocher
Comme l'araignée à son fil
Profiter de la lueur qui se faufile
Pour tracer une ligne d'encre
Trait de lumière
Qui file
Se ficher dans la pénombre
Comme une flèche enflammée
Atteint sa cible en brûlant
Le fil du texte
Comme celui de l'épée
Coupe cellui qui s'y frotte
On se dessine un profil avantageux
Ethos robuste et protecteur
– prometteur -
Poéte·sse maudit ou romantique
Toujours un peu héroïque
Masque de papier qui brûle à peine gratté
Le stylo est un silex
Les étincelles nous échappent
Nous rappellent
La forme fragile de nos visages maladroits
Les mots
Nous rappellent
En esquissant un sourire aussi doux qu'amusé
Que nous ne choisirons
Ni ne saurons
Jamais
Tout à fait
Qui nous sommes
view[A la lumière du brouillard]
Le brouillard
Diffuse une lumière
Presque orageuse
Floue
Humide
Orangée
Qui vient dorer
Les feuilles déjà dorées
Par l'automne
A cela s'ajoute
L'odeur du chocolat chaud
Qui flotte à l'intérieur
Comme la brume au dehors
Une petite rose tardive
S'accroche encore à son rosier
view[Allumer les étoiles]
A Rachel, Jupiter et Saturne
Je veux arracher à l'ombre sa lumière
Me balader sur la face cachée de la lune
Avec une lampe torche
Lever le voile
Révéler les aspérités
Le noir rend tout trop lisse
Comme les poissons se caches sous la roche
Les pensées sont insaisissables
Quand elles se fondent
Dans le sable abyssal
– inconscient –
Du fond des océans
Il est temps
D'appeler la lumière
Des étoiles doubles
De l'hiver
view[Réflexion]
Je réfléchis
Face au miroir
Narcisse
Je me vois mélangée en reflets
D'esprit et de corps
Je chasse la surface
Et m'enfonce
En eaux profondes
Je ne souris pas
J'ai les yeux fermés
Pour me couler dans l'onde
L'épaisseur
Et le silence
Je me sens nette
Sans le regard des autres
Qui jettent le trouble
Malgré eux
Malgré moi
Pas de regards
Si ce n'est le mien
Je me compose trop
Dans le reflet de l'autre
Alors
Je me dépose dans le fond
Je m'y fond
Seule au sol
Sous le poids de l'eau
Affleurant
La douceur de la vase
Et des algues
Et des petits poissons
C'est dans ce silence que je peux me perdre
Quand j'ai peur
De perdre qui je suis
Reflet abîmé
Fêlure du miroir
Aux allures de canyon
Une plaie dans la terre qui tremble
J'y tombe
J'y plonge
Comme si sonder la plaie
Était le chemin pour savoir comment la soigner
view[Faire face à l'ombre]
Je cherche à aller plus loin
Dans cet état
Qui tantôt
M'avale et me noie
Tantôt
Me laisse hébétée sur la rive
Puis heureuse
D'atteindre une terre nouvelle
Avant de chuter à nouveau
Sous le regard
D'une plante carnivore
Je n'ai pas peur d'être engloutie dans la nuit
Elle m'enveloppe de brume, d'étoiles et de silence
Je n'ai pas peur de descendre dans les sous-sols sombres
Refuges clandestins, labyrinthes de recoins où l'on peut
Se cacher
Je n'ai pas peur de m'enfoncer dans la forêt
Des renard qui creusent la terre
Des insectes qui dentellent le sol
Je n'ai pas peur
De traverser cet état noir
Qui me presse
De larmes
Qui donne à voir mon corps
Dans l'ombre
Et mes failles
A la lumière
Car je suis la feuille et la terre qui tremblent
Pour renverser racines et cimes
Mettre le monde à l'envers
Révéler des passages
Enfouis
Et oubliés
Il y a longtemps
Je cherche
A aller plus loin
Je n'ai pas peur du noir
Je préfère la tristesse et l'angoisse
A des illusions de sourires
Qui veulent faire croire
Que tout va bien