view[Révolution végétale]
La vie palpite dans tous les interstices
Tous les espaces
Où passe
La lumière la terre l'eau la graine
Les grains de beauté
S'épanouissent comme les autres
Pour nous rendre à fleur de peau
Les jours rallongent comme le désir
D'être au corps à corps
De caresser le sol
La terre
Se réchauffe aux feux rasants du printemps
L’œil vert capte
La moindre mousse
La moindre pousse
Dans le mur
Qui viendra
Faire exploser la brique de l'intérieur
La vie douce mange la matière brute
La main qui glisse sur le sexe fait voler la morale
En éclats interstellaires
Bye bye
On ramasse des bouquets pour s'en faire des couronnes
On dessine des marguerites à la craie sur les murs de béton
On lance des bombes à graines au-dessus des grillages
On cueille du bout des lèvres des fleurs
De romarin
On tend la main
Aux menthes ardentes
Aux orties qui manies des poignards tout petits
Aux roses sauvages qui griffent autant qu'elles séduisent
À toutes les mauvaises herbes
Mauvaises graines
Qui se tiennent prêtes
À prendre la clef des champs trop bien rangés
À faire le mur et les pavés
À semer le vent pour récolter la fête
view[Lever son verre à l'aube]
<< Et l'orage gronde/On a le dos courbé par les trombes d'eau qui tombent/Si tu nous croises dans la nuit/Barre-toi/On a des tatouages invisibles toi tu les vois aussi >>, Aloïse Sauvage, “L'orage”
Je veux un coucher de soleil
Je veux le crépuscule des dieux
La fin d'un monde
Qui marche d'un pas lourd sur des visages qui crient
Depuis longtemps
Je veux la fin
D'une histoire racontée toujours par les mêmes
La mémoire tranchée
Pour effacer
Les figures de l'ombre
Qui ont pourtant toujours été là
Je veux la fin
De cette histoire-là
Qui oublie délibérément mon
Identité
Ma
Sexualité
Qui me force à baisser les yeux quand je suis seule face au miroir
Qui fait couler dans mes veines
L'anonymat
En même temps que mon sang
Je veux
La fin de cette histoire-là
Je veux la nuit
Une nuit de fête
D'explosions
De confettis
De jouissances
De feux d'artifice
De rires en cascade
De jus de fruits ou d'alcool
Une nuit qui pétille
Où les langues se délient
Dans le délire
Le désir
Le délice
De refaire le monde
Une nuit dans l'herbe à la belle étoile
Ou sous la pluie lourde d'un orage
Qui attend
Depuis longtemps
De crever
De jouer sa musique sur les pavés
D'abreuver
La terre qui se gorge d'eau
Qui se fait ruisseau rivière fleuve
Charriant les douleurs et les fièvres
Les méfaits et les crimes
La conscience tranquille
De celleux qui s'en lavent les mains
Des trombes d'eau arrosant
La colère puissante
Qui pousse au ventre
Des blessé·e·s
Qui lèvent leur verre
Trinquent
À l'orage qui gronde
À la honte
Qui change de camp
Trinquent
À l'aube qui vient
Éclairer les regards
– mieux vaut tard
que jamais -
Nous nous tenons debout
Les mains serrées
Un pied posé
Dans la nuit
L'autre
Dans la flaque du jour
Nos ombres en peintures de guerre sur les joues
L'irrévérence dans les yeux
Et au coin de la langue
Je veux
Un matin qui chante un soleil qui brille pour nous aussi
Je veux
Un matin qui nous regarde dans les yeux
Qui nous reconnaisse
Et nous demande
Pardon
Je veux
Un matin sans gueule de bois ni retour de bâton
Le cœur brûlant
À serrer la main
De tou·te·s celleux nourris par la nuit
Et qui ont tant à apprendre
À celleux qui jusque-là pensaient
Que le jour
Leur appartenait
view[Rafales]
Le vent file à toute allure
Vers on ne sait où
Avec quelle colère
Quelle volonté
Il repousse poubelles vélos autos
Tentes mal arrimées qui roulent faire un tour
Un petit voyage à travers champs
Les feuilles d'arbres s'invitent à l'intérieur
Dès qu'on ouvre la porte
Si ce vent pouvait
Traverser mon cœur
Sans dessus-dessous
Je ne doute pas
Qu'il le remettrait
A l'endroit
view[Jour de fin d'hiver]
<< Dis-moi donc ce que tu comptes faire/ De ta sauvage et précieuse petite vie ? >>, Mary Oliver, “Le Jour d'été”
À un moment où tout lâche
Tout
Ou presque
À un moment dur
Où la Mort rôde
Où la folie guette
Où le désespoir gronde
– orage lointain qui menace et ne crève jamais –
Est-ce qu'il n'est pas juste de
Tendre la main
Pour saisir au vol le bonheur
Qui palpite au coin
D'un regard rieur
Je veux sentir mon manteau quitter mes épaules
A la manière d'un oiseau
Je veux sentir ma vie
Un peu sauvage
Un peu précieuse
Qui palpite dans le creux des arbres
Et dans l'air chargé
Du parfum des pruniers
view[Jets de vapeur]
J'ai des nuages
Qui courent sous ma peau
Tantôt
Des nuages d'orage
Gonflés de mots grêlés
De mots durs comme des poings fermés
Tantôt
Des nuages d'aurore
Qui colorent
Mes joues de teintes roses et délicates
Et prêtent à mon regard
Le feu rasant de l'aube
Le vent passe comme le temps
Chassant un nuage puis l'autre
Amenant un nuage puis l'autre
Et toujours dans mon cœur
La mécanique s'applique
A fabriquer du brouillard
Dans un jet de vapeur
view[Dégel]
On irradie
La main serrée dans l’une de l’autre
On s’accroche comme deux maillons de chaîne
Les autres anneaux
Sont invisibles
Mais nous tiennent
La tête sur l’épaule
Le moment se fait doux
Les mots coulent en filet d’eau
D’une rivière en dégel
Les sons circulent dans nos bouches et dans nos oreilles
La glace se relâche
Les mains se réchauffent comme des tartines grillées
Le masque glisse en larmes perlées
Les joues libérées dessinent un sourire fatigué
La main serrée dans l’une de l’autre
On s’accroche
Sororité
Adelphité
view[Serrer la main aux étoiles]
À vous tou·te·s
Dans le secret des mains serrées
Je vous souhaite de garder
– de savoir -
Toute la poussière d'étoiles
Que vous avez au creux du ventre
Et sur toute votre peau
view[Foehn]
Être au fond
Au fond du gouffre de soi
Sentir ses propres mâchoires comme des crocs
Comme des barreaux
Qui ferment tout accès à la sortie
Ethos de fauve
Dont l’œil frise
Vrille
Visse tous les verrous
Vise toute évasion
Au moindre sourcil froncé
Je tombe à mes pieds
Pam
Je tombe à genoux
Au fond de l'eau
Étourdie
L'air est plus dense
L'eau est plus lourde
Les yeux me brûlent
Et j'ai le sentiment
De brasser du vent
Déracinée
Je n'encaisse plus rien
Le foehn me tire hors de terre
Fille de l'air
Je me laisse faire
J'espère
Ne plus peser sur rien
view[Caresse]
Je sens
Des tonnes d'eau
Sur ma peau
Leur poids me leste
Et me moleste
Elles me maintiennent au fond
Mais c'est toujours une façon
– belle manière -
D'avoir les pieds sur terre
Mon bras est engourdi
J'ai l'épaule qui mollit
Englouti
Mon corps se tait
Sourire défait comme un lacet
Il faudrait un zip ou un scratch
Piqué aux chaussures des bambins
Les plaquer sur mon visage
Que quelque-chose puisse y tenir
Qu'on puisse se dire
“Ah. Tout va bien”
Engloutie sous les tonnes d'eau
Je sens simplement
La douceur de la vase
Douceur de l'argile qui a
La douceur d'une caresse
Faut-il que je sois triste
Pour imaginer
La caresse
D'une terre
Noyée
view[Face à la vague]
Faire face
Sans faux semblants
Au désir
Au vide
Au mal
Aux maux
Admettre la défaite
Mourir à petits feux
Qui s'éteignent en braises tristes
Au lieu d'éclater en feux d'artifice
Regarder en face
L'horizon bouché
Par la vague d'un tsunami
Mur d'eau
Qui finira par nous écraser
A quoi bon regarder
Les bras ballants
La Mort
Dans les yeux
De face ou de dos
Elle nous touchera l'épaule comme on joue à chat
Et ce sera fini
Alors je préfère encore
Mettre un masque de carnaval
Jouer à faire rire les cœurs à prendre
Les saisir et les embrasser
Danser sous la neige
Rêver à des mondes utopiques
Et les fouler pieds nus la nuit venue
Si la magie disparaît sous la vague
Je préfère encore que mon cœur ardent
Disparaisse avec elle