view[Rafales]
Le vent file à toute allure
Vers on ne sait où
Avec quelle colère
Quelle volonté
Il repousse poubelles vélos autos
Tentes mal arrimées qui roulent faire un tour
Un petit voyage à travers champs
Les feuilles d'arbres s'invitent à l'intérieur
Dès qu'on ouvre la porte
Si ce vent pouvait
Traverser mon cœur
Sans dessus-dessous
Je ne doute pas
Qu'il le remettrait
A l'endroit
view[Jour de fin d'hiver]
<< Dis-moi donc ce que tu comptes faire/ De ta sauvage et précieuse petite vie ? >>, Mary Oliver, “Le Jour d'été”
À un moment où tout lâche
Tout
Ou presque
À un moment dur
Où la Mort rôde
Où la folie guette
Où le désespoir gronde
– orage lointain qui menace et ne crève jamais –
Est-ce qu'il n'est pas juste de
Tendre la main
Pour saisir au vol le bonheur
Qui palpite au coin
D'un regard rieur
Je veux sentir mon manteau quitter mes épaules
A la manière d'un oiseau
Je veux sentir ma vie
Un peu sauvage
Un peu précieuse
Qui palpite dans le creux des arbres
Et dans l'air chargé
Du parfum des pruniers
view[Jets de vapeur]
J'ai des nuages
Qui courent sous ma peau
Tantôt
Des nuages d'orage
Gonflés de mots grêlés
De mots durs comme des poings fermés
Tantôt
Des nuages d'aurore
Qui colorent
Mes joues de teintes roses et délicates
Et prêtent à mon regard
Le feu rasant de l'aube
Le vent passe comme le temps
Chassant un nuage puis l'autre
Amenant un nuage puis l'autre
Et toujours dans mon cœur
La mécanique s'applique
A fabriquer du brouillard
Dans un jet de vapeur
view[Dégel]
On irradie
La main serrée dans l’une de l’autre
On s’accroche comme deux maillons de chaîne
Les autres anneaux
Sont invisibles
Mais nous tiennent
La tête sur l’épaule
Le moment se fait doux
Les mots coulent en filet d’eau
D’une rivière en dégel
Les sons circulent dans nos bouches et dans nos oreilles
La glace se relâche
Les mains se réchauffent comme des tartines grillées
Le masque glisse en larmes perlées
Les joues libérées dessinent un sourire fatigué
La main serrée dans l’une de l’autre
On s’accroche
Sororité
Adelphité
view[Serrer la main aux étoiles]
À vous tou·te·s
Dans le secret des mains serrées
Je vous souhaite de garder
– de savoir -
Toute la poussière d'étoiles
Que vous avez au creux du ventre
Et sur toute votre peau
view[Foehn]
Être au fond
Au fond du gouffre de soi
Sentir ses propres mâchoires comme des crocs
Comme des barreaux
Qui ferment tout accès à la sortie
Ethos de fauve
Dont l’œil frise
Vrille
Visse tous les verrous
Vise toute évasion
Au moindre sourcil froncé
Je tombe à mes pieds
Pam
Je tombe à genoux
Au fond de l'eau
Étourdie
L'air est plus dense
L'eau est plus lourde
Les yeux me brûlent
Et j'ai le sentiment
De brasser du vent
Déracinée
Je n'encaisse plus rien
Le foehn me tire hors de terre
Fille de l'air
Je me laisse faire
J'espère
Ne plus peser sur rien
view[Caresse]
Je sens
Des tonnes d'eau
Sur ma peau
Leur poids me leste
Et me moleste
Elles me maintiennent au fond
Mais c'est toujours une façon
– belle manière -
D'avoir les pieds sur terre
Mon bras est engourdi
J'ai l'épaule qui mollit
Englouti
Mon corps se tait
Sourire défait comme un lacet
Il faudrait un zip ou un scratch
Piqué aux chaussures des bambins
Les plaquer sur mon visage
Que quelque-chose puisse y tenir
Qu'on puisse se dire
“Ah. Tout va bien”
Engloutie sous les tonnes d'eau
Je sens simplement
La douceur de la vase
Douceur de l'argile qui a
La douceur d'une caresse
Faut-il que je sois triste
Pour imaginer
La caresse
D'une terre
Noyée
view[Face à la vague]
Faire face
Sans faux semblants
Au désir
Au vide
Au mal
Aux maux
Admettre la défaite
Mourir à petits feux
Qui s'éteignent en braises tristes
Au lieu d'éclater en feux d'artifice
Regarder en face
L'horizon bouché
Par la vague d'un tsunami
Mur d'eau
Qui finira par nous écraser
A quoi bon regarder
Les bras ballants
La Mort
Dans les yeux
De face ou de dos
Elle nous touchera l'épaule comme on joue à chat
Et ce sera fini
Alors je préfère encore
Mettre un masque de carnaval
Jouer à faire rire les cœurs à prendre
Les saisir et les embrasser
Danser sous la neige
Rêver à des mondes utopiques
Et les fouler pieds nus la nuit venue
Si la magie disparaît sous la vague
Je préfère encore que mon cœur ardent
Disparaisse avec elle
view[Neige]
La neige tombe
Comme la cendre
D'un volcan arctique et fantastique
Dont les flots de lave
Ne seraient que des nuages blancs
Jouant à chat avec le vent
Paysage fantôme
Où la mort n'existe pas
Où les pierres chantent en silence
Où les plantes dansent
Légères
Sous leur manteau de fourrure d'eau
Dentelle de glace en boucles d'oreilles
Les arbres somnolent doucement
Les paupières fermées
Par un matelas blanc
view[L'eau courante]
La voie aisée
Ferme
Et claire
Comme l’eau courante qui file malgré les roches
Qui avance non pas dans la direction décidée
Mais dans la direction qui va
Portée par la gravité
J’avance les faits
Sans peur et sans reproche
Je vais
Dans la direction qui coule
Comme l’eau courante qui file malgré les roches
Peut-être arrêtée un temps par un lac
Salé
Puis
Fille d’eau douce
Je file d’une caresse aussi légère que le duvet d’une abeille
Caresse piquante pour qui ne voit que le dard
C’est ainsi
Portée par la gravité
J’avance les faits
Sans peur et sans reproche
Je vais