Angèle Lewis

Poésie, cotylédons, paillettes et compagnie. Féministe aussi. | @angele.lewis.poesie

[Révolution végétale]

La vie palpite dans tous les interstices Tous les espaces Où passe La lumière la terre l'eau la graine

Les grains de beauté S'épanouissent comme les autres Pour nous rendre à fleur de peau

Les jours rallongent comme le désir D'être au corps à corps De caresser le sol La terre Se réchauffe aux feux rasants du printemps

L’œil vert capte La moindre mousse La moindre pousse Dans le mur Qui viendra Faire exploser la brique de l'intérieur

La vie douce mange la matière brute La main qui glisse sur le sexe fait voler la morale En éclats interstellaires

Bye bye

On ramasse des bouquets pour s'en faire des couronnes On dessine des marguerites à la craie sur les murs de béton On lance des bombes à graines au-dessus des grillages On cueille du bout des lèvres des fleurs De romarin On tend la main Aux menthes ardentes Aux orties qui manies des poignards tout petits Aux roses sauvages qui griffent autant qu'elles séduisent

À toutes les mauvaises herbes Mauvaises graines Qui se tiennent prêtes À prendre la clef des champs trop bien rangés À faire le mur et les pavés À semer le vent pour récolter la fête

[Lever son verre à l'aube]

<< Et l'orage gronde/On a le dos courbé par les trombes d'eau qui tombent/Si tu nous croises dans la nuit/Barre-toi/On a des tatouages invisibles toi tu les vois aussi >>, Aloïse Sauvage, “L'orage”

Je veux un coucher de soleil Je veux le crépuscule des dieux La fin d'un monde Qui marche d'un pas lourd sur des visages qui crient Depuis longtemps

Je veux la fin D'une histoire racontée toujours par les mêmes La mémoire tranchée Pour effacer Les figures de l'ombre Qui ont pourtant toujours été là

Je veux la fin De cette histoire-là Qui oublie délibérément mon Identité Ma Sexualité Qui me force à baisser les yeux quand je suis seule face au miroir Qui fait couler dans mes veines L'anonymat En même temps que mon sang

Je veux La fin de cette histoire-là Je veux la nuit

Une nuit de fête D'explosions De confettis De jouissances De feux d'artifice De rires en cascade De jus de fruits ou d'alcool Une nuit qui pétille Où les langues se délient Dans le délire Le désir Le délice De refaire le monde

Une nuit dans l'herbe à la belle étoile Ou sous la pluie lourde d'un orage Qui attend Depuis longtemps De crever De jouer sa musique sur les pavés D'abreuver La terre qui se gorge d'eau Qui se fait ruisseau rivière fleuve Charriant les douleurs et les fièvres Les méfaits et les crimes La conscience tranquille De celleux qui s'en lavent les mains

Des trombes d'eau arrosant La colère puissante Qui pousse au ventre Des blessé·e·s Qui lèvent leur verre Trinquent À l'orage qui gronde À la honte Qui change de camp Trinquent À l'aube qui vient Éclairer les regards – mieux vaut tard que jamais -

Nous nous tenons debout Les mains serrées Un pied posé Dans la nuit L'autre Dans la flaque du jour Nos ombres en peintures de guerre sur les joues L'irrévérence dans les yeux Et au coin de la langue

Je veux Un matin qui chante un soleil qui brille pour nous aussi Je veux Un matin qui nous regarde dans les yeux Qui nous reconnaisse Et nous demande Pardon

Je veux Un matin sans gueule de bois ni retour de bâton Le cœur brûlant À serrer la main De tou·te·s celleux nourris par la nuit Et qui ont tant à apprendre À celleux qui jusque-là pensaient Que le jour Leur appartenait

[Rafales]

Le vent file à toute allure Vers on ne sait où Avec quelle colère Quelle volonté Il repousse poubelles vélos autos Tentes mal arrimées qui roulent faire un tour Un petit voyage à travers champs

Les feuilles d'arbres s'invitent à l'intérieur Dès qu'on ouvre la porte

Si ce vent pouvait Traverser mon cœur Sans dessus-dessous Je ne doute pas Qu'il le remettrait A l'endroit

[Jour de fin d'hiver]

<< Dis-moi donc ce que tu comptes faire/ De ta sauvage et précieuse petite vie ? >>, Mary Oliver, “Le Jour d'été”

À un moment où tout lâche Tout Ou presque À un moment dur Où la Mort rôde Où la folie guette Où le désespoir gronde – orage lointain qui menace et ne crève jamais – Est-ce qu'il n'est pas juste de Tendre la main Pour saisir au vol le bonheur Qui palpite au coin D'un regard rieur

Je veux sentir mon manteau quitter mes épaules A la manière d'un oiseau

Je veux sentir ma vie Un peu sauvage Un peu précieuse Qui palpite dans le creux des arbres Et dans l'air chargé Du parfum des pruniers

[Jets de vapeur]

J'ai des nuages Qui courent sous ma peau Tantôt Des nuages d'orage Gonflés de mots grêlés De mots durs comme des poings fermés Tantôt Des nuages d'aurore Qui colorent Mes joues de teintes roses et délicates Et prêtent à mon regard Le feu rasant de l'aube

Le vent passe comme le temps Chassant un nuage puis l'autre Amenant un nuage puis l'autre

Et toujours dans mon cœur La mécanique s'applique A fabriquer du brouillard Dans un jet de vapeur

[Dégel]

On irradie La main serrée dans l’une de l’autre On s’accroche comme deux maillons de chaîne Les autres anneaux Sont invisibles Mais nous tiennent

La tête sur l’épaule Le moment se fait doux Les mots coulent en filet d’eau D’une rivière en dégel Les sons circulent dans nos bouches et dans nos oreilles La glace se relâche Les mains se réchauffent comme des tartines grillées Le masque glisse en larmes perlées Les joues libérées dessinent un sourire fatigué

La main serrée dans l’une de l’autre On s’accroche Sororité Adelphité

[Serrer la main aux étoiles]

À vous tou·te·s Dans le secret des mains serrées Je vous souhaite de garder – de savoir - Toute la poussière d'étoiles Que vous avez au creux du ventre Et sur toute votre peau

[Foehn]

Être au fond Au fond du gouffre de soi Sentir ses propres mâchoires comme des crocs Comme des barreaux Qui ferment tout accès à la sortie Ethos de fauve Dont l’œil frise Vrille Visse tous les verrous Vise toute évasion

Au moindre sourcil froncé Je tombe à mes pieds Pam Je tombe à genoux Au fond de l'eau Étourdie L'air est plus dense L'eau est plus lourde Les yeux me brûlent Et j'ai le sentiment De brasser du vent

Déracinée Je n'encaisse plus rien

Le foehn me tire hors de terre Fille de l'air Je me laisse faire J'espère Ne plus peser sur rien

[Caresse]

Je sens Des tonnes d'eau Sur ma peau Leur poids me leste Et me moleste Elles me maintiennent au fond Mais c'est toujours une façon – belle manière - D'avoir les pieds sur terre

Mon bras est engourdi J'ai l'épaule qui mollit Englouti Mon corps se tait Sourire défait comme un lacet Il faudrait un zip ou un scratch Piqué aux chaussures des bambins Les plaquer sur mon visage Que quelque-chose puisse y tenir Qu'on puisse se dire “Ah. Tout va bien”

Engloutie sous les tonnes d'eau Je sens simplement La douceur de la vase Douceur de l'argile qui a La douceur d'une caresse

Faut-il que je sois triste Pour imaginer La caresse D'une terre Noyée

[Face à la vague]

Faire face Sans faux semblants Au désir Au vide Au mal Aux maux Admettre la défaite Mourir à petits feux Qui s'éteignent en braises tristes Au lieu d'éclater en feux d'artifice

Regarder en face L'horizon bouché Par la vague d'un tsunami Mur d'eau Qui finira par nous écraser

A quoi bon regarder Les bras ballants La Mort Dans les yeux

De face ou de dos Elle nous touchera l'épaule comme on joue à chat Et ce sera fini

Alors je préfère encore Mettre un masque de carnaval Jouer à faire rire les cœurs à prendre Les saisir et les embrasser Danser sous la neige Rêver à des mondes utopiques Et les fouler pieds nus la nuit venue

Si la magie disparaît sous la vague Je préfère encore que mon cœur ardent Disparaisse avec elle