Angèle Lewis

Poésie, cotylédons, paillettes et compagnie. Féministe aussi. | @angele.lewis.poesie

[Jour 53]

Je reste en suspens – suspense - Sur un fil Funambule Dans ma bulle confinée Je tourne en boule En boucle Mes pensées Qui tournent Trop pour mon corps qui ne bouge pas Ou si peu

Je me sens noyau Resserrée sur moi-même Comprimée dans mon fruit À savoir que je n'ai rien d'autre à faire Qu'attendre Éventuellement Un jour Peut-être Qu'attendre De pouvoir toucher terre M'y planter M'y répandre

Attendre Bien au chaud dans mon fruit

J'ai trop chaud

J'aimerais presque que ma peau éclate Se brise J'aimerais que ma vie d'intérieur soit une page Que je puisse déchirer Pour sentir de l'air Des visages Voir des corps Pas des textes Entendre ma propre voix parler plus fort Parce que l'autre est loin L'entendre me répondre Crier dans la rue Courir sur les routes

Je suis sur le fil J'attache mes lacets Mais je ne franchis pas le seuil – pas encore -

Les peurs me retiennent

[Petit bain]

Je me baigne Dans la mer aux méduses Petites boules de lumières Souples Qui jouent avec leurs filaments Comme les chats avec leur queue

Guirlandes traînantes Dans le sillon des vagues

Je nage de nuit dans l'eau noire Me laisse porter Par l'eau salée Fraîche Silence Je sens les mouvements lents Des habitantes de l'eau Contre ma peau

Je ne suis nulle part Et au milieu de tout

Mon souffle a le bruit du ressac Mes poumons se gonflent Mon visage relâché Flotte Comme tout mon corps

Je ne sens plus le sol Et sa pesanteur J'effleure Du bout des doigts L'air à fleur d'eau

Les orteils chatouillé au ballet des méduses Fleurs d'eau Qui oscillent dans l'onde

[D'un morceau de roche]

Roche Je m'arrache et déroge Au vivant Je ricoche sur l'élan des mots Cristallisation des sons

Minérale Pierre ou montagne Je gagne L'espace des échos

Les murailles taillent ma peau Les collines, les vallées Façonnent mes reliefs Du cou jusqu'aux creux du corps Mes poumons soufflent la fusion Dans mes veines S'invite la lave

Dans mon ventre Crépite la poudre D'un feu d'artifice

Reste de poussière d'étoile Tombée Au commencement des mondes

[Visage en reflet]

Je me penche au-dessus de l'eau Mon reflet m'observe Regard de surface Qui manque de profondeur

Si quelqu'un·e vient à ma rencontre Ce sera comme une pierre Lancée Un ricochet

Mon visage se diffracte S'éclate Se kaléidoscopise Se métamorphose Se recompose Pour ressembler à son propre reflet Sa propre voix

Une image de moi Qui gomme la différence Et raccourcit le chemin Entre ellui et moi

Pas tout à fait ellui Plus tout à fait moi

Mon image se perd Pour devenir un reflet Montrable à qui a besoin de me voir

Eau courante Sourire fluide

Comme l'eau désaltère Je me noie dans l'altérité

Dans l'autre Qui me donne la sensation De n'être Non plus un lac uni Immense Et contenu par la montagne Mais un rideau diffus de pluie Dont chaque goutte Est un morceau de miroir Dans lequel l'autre se voit Tandis que moi Je me cache derrière

[Sortir]

Le ciel est immense ce soir D'un noir frais qui donne envie de plonger dedans J'ai la fenêtre ouverte Je pourrais sauter Sortir Explorer cet océan et tou·te·s ses habitant·e·s

Sylphides Vents du Nord Zéphyrs Vents solaires Géménides Géantes gazeuses Cerceaux de feu Poussières de planètes Insectes interstellaires Papillons aux ailes diaprés d'aurores boréales

Respirer la profondeur des abysses En écartant les bras Comme pour leur faire plus de place Faire la planche Me laisser aller dans le courant

Et puis ouvrir les yeux Les pieds Sur le plancher Le regard Sur l’œil de lune

[Dans la terre]

“Entrez en vous-même, cherchez le besoin qui vous fait écrire : examinez s'il pousse ses racines au plus profond de votre cœur” – R. M. Rilke

J'y pose un pied Le relève Et puis J'y vais Je marche droit Pour m'enfoncer dans le sol

C'est ainsi Je démêle mes racines J'y plonge mes pieds et mes mains Entrelacements et sauts de chat sous terre Cela bruisse sans cesse J'en sens le poids La force Labyrinthe où je peux me cacher Comme me perdre

Je fouille Archéologie du vivant Grouillement de radicelles Lianes souples et encombrantes Qui s'enroulent à mes chevilles

Je puise dans la terre grasse La grâce des morts Dont les mots remontent par le chant des feuilles

Je bois les histoires du passé Comme la sève monte à l'arbre J'en ferai des fruits légers Sucrés

Des bombes de graines à retardement

[Les Araignées]

À la “Maman” de Louise Bourgeois

Je tisse mes mots Autour de la toile des Araignées

A défaut d'une voix Le fil fera l'affaire

De toute façon Les araignées n'ont pas d'oreilles Et moi Je suis muette de mots vrais devant elles

Je sens leurs mots comme du venin Je les sens Géantes Et moi Si petite

C'est peut-être la vibration de nos liens Qui me fait Amplifier les mouvements de leurs yeux Et Sonner gravement les cordes De leur voix

Ou peut-être est-ce Parce que je ne les regarde Qu'en levant la tête

Au lieu de me lever moi

De les voir Juste À la hauteur d'un regard

[Viral]

La vie est à l'arrêt Chacun·e dans son île Sa vallée Sa rive

Ça râle et ça déraille

L'art de lire De rire D'être ivre Est plus rare

On ravale ses larmes D'être rivé Là

[Jour 18]

Mon dos est une carapace Scarabée dodue

Je me voudrais Chenille détendue à tisser Mon coconfinage Mais suis plutôt Fourmi travailleuse Reine aux ailes cassées À rester enfermée Reine aux ailes cassées Qui les mange elle-même Pour se donner de la force Et tenir sa fourmilière

Comment peut-on désapprendre À prendre son temps ?

Comment Oublier la lenteur de la chenille Qui avance Qui mange sa feuille Morceau par morceau

Et comme elle est lente encore Papillon À sécher ses ailes

Au moins Je reste poétesse Qui tisse Qui tire Qui tends Les fils du temps

Vers à soi

[Jour 17]

Je me sens floue Je respire Regarde les yeux grands ouverts Je mange

Floue Je caresse les chats Couds Cuisine Je fais l'amour fou

Floue Mes yeux se portent partout En collier En bracelet Dans la chambre ou le salon

-de toute façon, je dors dans les deux -

Floue Je mange tout Gâteaux/fruits/plats Mais pas encore à toute heure

Floue Où passe le temps? Il m'esquive Ou c'est moi ?

Floue Finalement Je reste en pyjama Et chaussettes

Floue Perte des frontières Des repères Idées en l'air – pas claires

Floue Floue Floue