Quelques textes un peu trop longs pour mastodon (garanti 0% de matière IAsse)

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B. L. Singley (American, 1864 – 1938), photographer “Sew on your own buttons, I'm going for a ride.”, 1896 The J. Paul Getty Museum, Los Angeles

En informatique on parle d'intégration “seamless” ou “sans couture” en français, pour qualifier des situations où plusieurs services sont intégrés de manière à ce que le passage de l'un à l'autre soit extrêmement fluide, et idéalement invisible pour un utilisateur.

Considérons un environnement de gestion d'images qui propose des outils de manipulation simples des images individuelles. Si l'on a un répertoire plein de photos, on peut lancer séparément (1) cet outil de visualisation pour répérer des photos à monter en panorama (on note les numéros sur un bout de papier) ; (2) un autre outil de création de panorama dans lequel on importe les photos choisies (en se référant au bout de papier). Si l'environnement de gestion d'images propose lui-même de sélectionner les photos, de lancer la création de panorama pour nous, et de ré-importer l'image produite, on court-circuite le bout de papier d'échange d'informations entre outils.

Une application pour usager des transports en commun peut intégrer des outils de type cartographie de lignes, recherche d'itinéraires, paiement, etc. L'intégration va au-delà du point d'entrée unique : on peut avoir des liens entre fonctions, comme un bouton “acheter un billet” qui apparaît dans les résultats de recherche d'itinéraire, pour qu'on ne soit pas obligé de remonter au point d'entrée de l'application pour repartir dans une branche différente (en ayant besoin de se souvenir de ce qu'on a trouvé dans la recherche d'itinéraire, ou en l'ayant noté sur un bout de papier).

Les outils parfaitement intégrés facilitent la vie des utilisateurs, bien sûr, et font “gagner du temps”. Ils font aussi gagner de l'argent aux sites commerciaux. Amazon est le champion toutes catégories de la navigation fluide et des interfaces dans lesquelles aucun obstacle n'apparaît jamais à une décision d'achat intempestive et souvent fugace. SNCF Connect est un exemple à l'autre extrémité du spectre. Comprendre les liens entre l'appli SNCF Connect, l'appli de suivi du trafic, TGV pro qui existe encore sur certaines plateformes, etc., demande de longues études et une concentration sans faille.

L'intégration sans couture a aussi un effet sur la compréhension des choses. Quand on saute d'un outil à un autre sans se rendre compte des frontières grâce à cette absence de coutures, on perd la notion des flux d'informations sous-jacents, et la frontière entre retouche simple et création de panorama s'estompe. Cette perte de compréhension n'est pas nécessairement un mal en soi. Il est normal que l'on puisse se servir d'une voiture sans connaître le principe des moteurs à explosion. Le numérique est un outil comme un autre, il n'y a pas de raison particulière d'exiger que les utilisateurs le comprennent mieux que d'autres outils.

L'arrivée des IA génératives, en particulier pour le texte, s'inscrit pleinement dans cette situation de gommage des frontières, de masquage des flux d'informations, et de perte de compréhension des choses. Si le même outil, avec le même point d'entrée unique, permet de réaliser à la fois la correction orthographique ou grammaticale plus ou moins contextuelle, et des tâches de réécriture, on perd la notion de frontière entre correction et écriture à notre place. De même dans les outils d'édition courants pour la programmation (les “IDE” pour integrated Development Environment), la frontière devient floue entre proposition de complétion des noms de fonctions disponibles, corrections locales contextuelles, et carrément suggestion de forme de code ou même d'algorithme.

Rendez-nous les coutures ! Parfois il serait plus sain de choisir soi-même le bon outil au bon moment. En tout cas on aimerait avoir le choix.

Si l'on utilise un outil de type IA générative pour tout, y compris de la simple correction orthographique, c'est bien cher (en impacts socio-environnementaux, et peut-être bientôt en tarif d'abonnement) pour une fonction qui existe déjà dans des outils dédiés, certains même libres et gratuits. Avoir un correcteur intégré dans son outil d'édition de texte est déjà une forme d'intégration sans couture bien pratique. Mais s'il s'agit de générer des textes à partir de pas grand chose, forçons-nous[^1] à sortir de cet environnement et à lancer sciemment un autre outil, pour être bien conscients qu'il s'agit d'autre chose, entièrement.

Dans l'enseignement de l'algorithmique et de la programmation, le gommage des frontières entre correction locale et suggestion de code est particulièrement néfaste. Pour un étudiant, aller récupérer sans trop réfléchir des bouts de code directement sur StackOverflow pour les coller dans son projet, ça avait l'avantage de permettre de rester conscient de ces “emprunts” et du fait qu'on n'avait pas vraiment fait le travail demandé. Si l'équivalent de ces emprunts vient tout seul à soi, dans son outil d'édition de code, comme prolongation naturelle des fonctions de suggestion et correction locale, il va devenir difficile de savoir quand on a fait le travail nécessaire à l'apprentissage.

Encore une fois, rendez-nous les coutures ! S'il est normal de pouvoir conduire sans comprendre le principe du moteur à explosion, on aimerait quand même que la voiture ne passe pas en mode auto-pilot sans prévenir. Surtout si l'auto-pilot conduit mal.

[^1]: Je dis “forçons-nous” en m'incluant dans cette injonction, mais je n'utilise toujours pas ChatGPT.

@flomaraninchi@pouet.chapril.org