Argeveller

Des petits bouts de trucs… {Licence CC by 4.0}

Habituellement j'aime bien les vendredi. Ils appellent les ami⋅e⋅s, signifient l'arrivée d'un droit à la paresse, ils sont comme habités d'une atmosphère joviale dans les rues que je fréquente.

J'aurais dû me méfier de cette amicalité avec les vendredis.

L'origine de la méfiance

Tout récemment il y eut ce vendredi 13 mars 2020, dans lequel j'aidais à organiser une soirée « Débat sur la technopolice à Rennes ». Je ne suis pas superstitieux, pourtant l'accumulation de signes et de symboles était si bonne que j'en rigolais : Vendredi 13, Boulevard de la Liberté, arrivée en France de la pandémie du coronavirus…

Puis le 20 mars, vendredi durant lequel nous avions dû prendre la pénible décision de suspendre nos permanences d'accueil et d'aide aux personnes étrangères sans papiers.

Le 27 mars, alors que je bossais sur une signature par « Chaos Game Representation of a genetic sequence » du petit vilain virus et ses versions mutées, mon ordinateur passa à trépas. La perte de ce fidèle compagnon de plus de 10 ans de vadrouilles et vagabondages était chargée de conséquences possiblement dramatiques pour moi. j'ai donc criée mon désespoir dans le minitel du Fediverse des Internets. Oui ma précarité chevillée à ma condition sociale ne fait de moi un flocon de neige unique qui faudrait à tout prix sauver de la disparition. Je suis tout au plus un saltimbanque qui déchaîne les vendredi, un pauvre ordinaire comme des dizaines de millions d'autres personnes juste pour ce pays nommé France.

Les routes de la confiance

Dans mes peurs et mon cafard j'ai ressenti à nouveau le parfum de vendredi de convivialité, un air de « le plaisir de vivre ensemble, de chercher des équilibres » ( Jean Anthelme Brillat-Savarin − 1825), des épices de quelque chose de « déterminée » (Illitch − 1973) dans un chaos du monde que je me perds parfois à comprendre.

Des personnes du Fediverse, dont certaines que je n'ai rencontrée que leur être des internets, ont proposé de m'aider, de s'organiser pour ne pas me laisser glisser vers plus de pauvreté. J'étais dans le luxe de respirer à plein poumon les effluves des élans de solidarité, des pollens de convivialité. Solidaryverse¹…

Je voudrais vous écrire explicitement mes profonds remerciements et partager un une foule les sentiments de papillonnement tout en couleur et saveurs que vous m'avez mis dans les tripes. Vous êtes des géant⋅e⋅s aux doigts magiques.

Une reine des Elfes et une Airbird (si, si je vous jure) m'a aidé. Rien qu'avec cela je pourrais affronter tous les vendredi maléfiques qui adviendraient.

Mon avenir sans outils de travail, sans mon ordinateur de gagne miette de pain, semblait moins pénible, pourtant pas encore au soleil. J'aurais pu vivre pire dans une République en Marche, on aurait pu me proposer un numéro de téléphone et site web d'urgence tout frais du matin pour m'aider à traverser la rue de ma misère. Heureusement pour moi, en lieu et place des petits arnaqueurs du dimanche, je suis attrapé par un Héros du vendredi.

Les voiles de générosité

Une personne qui souhaite conserver une forme d'anonymisation de son geste m'offrait un ordinateur portable tout neuf et de très bonnes qualités. À des centaines de kilomètres de moi, dans une période de pandémie mondiale, simplement et presque timidement une personne que je ne fréquente que via les internets vient au chevet de ma situation pour y déposer toute cette immense anticyclone de générosité.

Je voudrais ici et maintenant précis et concis. Il n'y a pas de mot assez fort, pas un merci assez grand écrit, pour exprimer ce que j'ai ressenti.

<3 <3 <3 <3 <3 <3

J'ai inspiré profondément, expiré longuement, répété cela plusieurs fois, pendant plusieurs jours. Puis quelques coups de pinceaux plus tard…

Mon nouvel outil de vadrouille depuis lequel je vous écris

Les invisibles qui nous relient et nous sauvent

Il y a des héroïnes et des héros dans mon histoire, des géants, une Reine des Elfes. mon histoire est vraie puisque je l'ai vécue et aussi elle racine sa factualité dans ces lignes que je vous écris.

Cette histoire s'est déroulé dans une société qui est orientée par des choix politiques qui sont mis en œuvre à l'aide d'architecture et de configuration.

« Cette “crise” de plus fait office de révélateur des structures sous-jacentes mais invisibles de nos sociétés ... et le ridicule qui va avec. L'opportunisme et le colonialisme se lâchent sous prétexte de crise, alors même que ces modèles devraient changer pour éviter la prochaine ... ne pas réagir mais structurer et prévenir » Olm_e

Les protagonistes de cette histoire, de notre histoire puisque composées à plusieurs, ont ouvert couloir d'air vers des champs de liminarité. Elles et ils m'ont offert l'immense privilège de bénéficier de celui-ci.

Cette histoire n'aurait jamais été autre chose qu'un accident confiné, enfermé, cris et peines étouffées entre quatre murs, sans les interventions des invisibles qui tissent et maintiennent les conditions d'existences de mondes.

Les personnes du service postale, les caissières du supermarché la buraliste de ma rue, toutes les personnes de la santé et des hôpitaux, les profs qui ont eu à l'école toutes ces personnes, les éboueurs, les devs de liberapay, les admins des instances du Fediverse, Tedomum team, les pseudonymes des internets, et tellement d'autres… C'est avec vous que l'on écrira les conditions « transfrontalières et transliminaires » (Léna Dormeau 2020). Nous n'oublions et n'oublieront pas celles et ceux qui nous assujettissent à l'invisible et aux souffrances forcées.

Notes

Un endroit ydillique en Bretagne, sur le côte aux granits roses, des hackeuses, hackers, designeuses, designers, écologues, linguistes, architectes, militant⋅e⋅s, programmeuses et programmeurs, ingé⋅e⋅s, queers, se réunissent.

Des bords bords du Jaudy, sur épéron de roches et de terres face à la mer, elles et ils pensent que leurs utopies peuvent panser un peu le monde.

Dès le premier jour, à l’abri des pins, les WC et la douche rompent leur assignation à évacuation des matières. Leur espoir de deux semaines estivales florissantes sont menacés, leur hygiène est compromise. Un enfant de moins de dix ans est privé de commodités élémentaires dites modernes. Manger devenait compliqué car la vaisselle difficile à réaliser sans rejeter d’eau.

Les WC se bouchent, la douche refoule, l’odeur de putréfaction colle à leur système de conceptions idéalistes, l’odeur se répand dans le paysage. Même la vase de l’embouchure de la rivière ne rivalise pas avec ce spectre et son suaire olfactif.

Elles et ils pensent les liens, les techniques, les cultures, les systèmes et infrastructures. Elles et ils tissent des étoles de promesses et de devenirs. Pourtant cette panne les paralysait, au point critique que personnes n’agissait.

Il n’y a pas de “How To”, de “write up”, de “post mortem”, de page wiki pour ces situations. Seule les manches retroussées de rares personnes qui acceptent la responsabilité de l’investigation dans le dur, qui se chargent de patauger et de remuer les défécations d’un groupe social, ici concentré comme rarement sur cette zone, sont les agentes et agents de persistances d’une continuité de qualité de vie moderne faisant face à l’obligation physiologique.

Nous étions face à une esthétique, tout autant face à une métaphore, d'imbrications de construits dont nous héritons sans avoir choisi ce lègue, confronté·e·s à l'injonction de nous en responsabiliser. Nous entrions en profondeur « négociation tacite » avec les systèmes dont nous étions surgeonnes et surgeons.

Deux, nous avions été deux à prendre une pioche partagée pour fendre le puissant granit dans l’attente de libérer une hypothétique fausse ; à s’acharner à découvrir les drains bouchés par les temps et les rejets des humains. Chaque coup de boutoir n’enlevait que quelques éclats de roche, faisant raisonner notre squelette comme un simple tube métallique. En revanche de notre opiniâtreté nous recevions des jaillissements de liquide chargé de matières molles dont nous refusions la composition bien qu’étant obligés d’en avoir les odeurs.

Sueurs d’août, eau croupie, excréments, éclats de granit rose, finissaient par former un nouveau film, part de nous et de notre labeur, à même notre peau et faible quantité de vêtements.

La fausse fut découverte après une journée de bagnards. Il fallut ensuite y plonger seau et mains pour purger de mix de matières et de liquides afin d’envisager à la racine le problème. Pas non plus rejeter n’importe comment, ni n’importe où, ces reliquats de notre humanité que le temps de la nature et les technologies n’avaient pas encore eu le plaisir de traiter et digérer. Un ydillique cap rose ne mérite pas notre infection.

Le groupe, lui comment il fonctionnait ? Dans l’indigence, dans la mécanique sociale cassée, tout du moins arrêtée jusqu’à l’extrême capacité à retenir des besoins du corps. Certaines personnes encourageaient, d’autres regardaient par la fenêtre, d’autres encore s’échappait à la situation. Une forme de socialité chargée se constituait ; deux creusaient.

Ces personnes, pouvant être vues et lues comme « en capacité », sachantes, ou performantes, étaient ici dans une épaisse panne qui les gênait. Revelant aux passage beaucoup de l’intime et du fonctionnement de leur prédéceseuses et prédécesseurs, exposant à l’œil et au nez un envers du décors de nos communautés.

Nous avions pioché et curé plus d’une journée et demi. La pioche en étant usée, même rabougrie dans son profil. Déboucher, re-tuayauter, puis retapisser de sols, n’auront été que des épiphénomènes, tant ils furent faciles physiquement, tant la tension n’existait que dans la panne non-résolue du fonctionnement sanitaire.

Le camp des utopistes, des commonistes, pouvait reprendre le chemin du fonctionnement qui lui était promis. Là dans ce coin de paradis qui jadis fut et aujourd’hui est le théâtre de pirateries dont on ne sait jamais vraiment si elles furent fictionnées ou perpétrées.

Aux ami⋅e⋅s, à Kerbors.