Angèle Lewis

Poésie, cotylédons, paillettes et compagnie. Féministe aussi. | @angele.lewis.poesie

[La politique 2 – La Montgolfière de Monsieur Poutou]

J'ai rêvé Qu'en examinant les programmes des candidat·e·s Poutou et son équipe proposaient La location d'une montgolfière

Pour aller au bout de ma démarche politique – et faire rêver les petits - Bien sûr Je passe commande

L'objet arrive sur l'herbe Comme livré par un drone invisible Livraison express Au milieu de la nature

Mon téléphone sonne Et comme si la magie avait décidé de faire crédit pour l'occasion C'est Philippe au bout du fil Qui fait le service après vente Qui demande si tout est bien arrivé Oui oui je réponds Merci C'est une chouette idée

C'est une chouette idée monsieur Poutou parce que vous voyez Là avec des copaines On décortique Les professions de foi L'histoire des partis et leur héritage Les éléments de langage En croisant nos regards avec Les comptes-rendus d'associations Les bilans de mandat Les articles et les entretiens devant la caméra

Bref On fait le taff

Et moi Je devais m'occuper du candidat Macron Je jure que j'ai fait le taff Et que ça m'a rendue triste

Alors Quand j'ai vu votre montgolfière là Je me suis dit Qu'il y avait un peu de magie là-dedans Une magie de l'enfance nécessaire à la politique Vous voyez ce que je veux dire ?

Silence Non Monsieur Poutou ne voit pas ce que je veux dire J'ai hésité J'ai avalé ma salive Et j'ai développé

Ben En politique il y a une mise à distance des émotions Et je dis pas C'est nécessaire aussi d'être rationnel·le Mais je crois que Les équations froides Laissent de côté la fragilité humaine Le désir Une partie de la vie dans son ensemble Et détruisent lentement La sensibilité Et l'empathie

Ça fait très adulte Parce que ça fait très solide Et très responsable

Mais quelqu'un·e qui remise quelque part son cœur Pour mieux réfléchir Ça me fout un doute

La sorcière Starhawk dit que S'il y avait des crèches A côté des salles de réunion du CAC 40 Sans doute Les décisions prises seraient Disons Au moins pensées sur un temps plus long

Enfin je pense Que les adultes sont tous des enfants Et qu'à l'oublier On se leurre et s'ampute D'une partie de notre identité

On ne s'émeut plus D'un animal qui souffre D'une main gercée tendue dans la rue D'une morte qui aurait dû être sauvée D'un oiseau et d'un arbre et d'une terre Qui expirent meurent et disparaissent

On ne soutient plus le regard De notre propre disparition Ni même De l'enfant que nous étions

Alors Votre montgolfière là monsieur Poutou Avec son tissu rouge – j'espère que tout le budget du NPA n'y est pas passé - Elle est précieuse Comme un momento mori Comme une note au futur “Penser un jour à réenchanter le monde” – ou au moins les frontières de France Puisque frontières il y a -

Votre montgolfière elle aide à prendre de la hauteur À voir au-delà de la mosaïque des champs En monoculture

Bref Votre montgolfière a la magie de l'enfance nécessaire à la politique

J'entends qu'il hoche la tête – incroyable ce que l'on peut entendre dans un rêve – Qu'il dit Je comprends On se remercie une dernière fois On raccroche

Et je me dis Que c'est ça que j'essaie de faire avec la poésie De mettre sur le monde Des mots naïfs crédules légers Des mots qui cassent un peu l'assurance D'une pensée qui se croit aussi sérieuse et responsable Que ce banquier de père dans Mary Poppins Ou cet autre père comptable Dans Peter Pan Ou cette sale sorcière d'Ombrage Qui torture jusqu'au sang Un Harry Potter adolescent – et en souriant -

Que chacun·e trouve sa montgolfière Trouve la légèreté brûlante Du feu et de l'air

Que chacun·e rende à la dite “politique” Les couleurs de l'arc-en-ciel Ou la nuit noire de l'anarchie Tout Tout pour remplacer ces pauvres couleurs pastel Qui jettent un regard pâle Pressé Et sans émotion Sur le monde

[La politique 1 – Calmez-vous]

Ça tombe comme la pluie A l'intérieur de moi

Quelle merde Mais quelle merde Il manque Ça manque de Je manque de

Où sont les paillettes Où sont les mains sur l'épaule et le regard qui dit Ça va bien se passer Et la main sûre d'elle qui dit Bon, le problème est le suivant, voici la solution On va se serrer les coudes Ça va le faire Go

Mais rien Rien

Rien dans les urnes sur La solidarité L'adelphité Le dérèglement climatique Le changement de ce bloody système démocratique aux relents monarchiques – calmez-vous : je n'ai pas dit que nous étions en monarchie, lâchez tout de suite votre clavier -

Je ne sais pas

Il y a dans notre maison qui brûle Des gens qui meurent Parce qu'ils sont trans Des gens qui meurent Parce qu'ils sont pauvres Des gens qui meurent Parce qu'ils n'ont pas de chambre Des gens qui souffrent Parce qu'on attend d'eux qu'ils fassent la vaisselle avec le crachat qu'on leur jette – et en souriant s'il vous plaît – Des gens qui souffrent Parce qu'ils sont violés à tout âge Des gens qui souffrent En travaillant

Des gens qui souffrent et meurent de tout ça à la fois

Et je dis pas C'est vrai C'est vrai qu'il y a aussi de belles choses Dans cette maison Que l'on dit nôtre par droit de vote De belles idées De belles lois De beaux musées Gratuits tous les premiers dimanches de chaque mois Des syndicats Des droits de grève Des journaux et des voix Qui font contre-pouvoir Et que l'on étouffe pas Une école publique, gratuite et obligatoire Des condamnations Pour président sortant Et pas toujours honnête avec l'argent

Ok Donc Ok

Mais Parce qu'il y a quelques “mais” Quand même Qui m'empêchent de croire Que notre grande coloc Soit la plus belle baraque dont on puisse rêver

Mais Donc Puisqu'il faut encore convaincre et persuader Je mettrai ma capuche noire Pour coller des mots comme des notes de musique Ou des notes à nous-même Je repeindrai les murs en arc-en-ciel J'ouvrirai la porte de ma chambre J'irai marcher sous les parapluies En criant à me fendre la gorge Pour attirer l'attention Des gens raisonnables Qui ont laissé leur empathie et leur confiance à autrui Au même endroit que le chant des oiseaux Qui disparaissent lentement Au moment Où j'écris ces mots

Qui sait Peut-être qu'un jour la poésie Donnera un autre rythme au cœur De celleux qui se piquent De faire De la politique

[Brûler la nuit]

8 mars

Dans la nuit Des formes se bousculent Se rapprochent S'allient comme l'eau Comme des gouttes Glissent Se rassemblent Se font marée montante débordant d'attente

Tou·te·s les animal·e·s sont là Et tou·te·s Poussent des cris Le mien est strident Inimitable

La meute fait corps Derrière des mots qui disent des torts Que l'on crie que l'on bannit La meute fait corps Derrière des mots que l'on dit en rythme Le cœur battant sur le pavé

Rituel sous le ciel Entre les murs de la ville

Les regards s'attrapent avec plaisir Avec l’œil qui pétille Qui brille Qui reconnaît Qui découvre On tient au fil des yeux et de la voix D'une ou deux ou trois compagnes Qui retissent aussi la trame De la rue

Autour Des électrons libres Veillent à ce que la traversée Se fasse en puissance Et en douceur

Sous les lumières électriques Les feux que nous allumons ne vacillent pas Ils étincellent entre nos mains Ils chauffent nos gorges à nous brûler Et nous en tirons quelques-uns En feux d'artifices Rouges et verts Entre les enseignes qui disparaissent dans la foulée Dans la fumée Noire Portée à bout de bras Noire Comme cette anarchie chérie Couleur du deuil De nos illusions perdues Et de la nuit sans étoiles

La colère nous consume tant Et si bien Qu'à la fin nous sommes un poing serré Fatigué·e·s Mais riant criant toujours Jusqu'au dernier pas ensemble Jusqu'au dernier regard ensemble Jusqu'au dernier mot ensemble

Et là Comme les animal·e·s sauvages que nous sommes parfois Chacun·e s'en va Vers la dite civilisation Qui porte en elle pourtant les violences Que nous avons un instant enseveli dans la nuit

Portant sur soi Le souvenir La force Le savoir Et l'idée d'un futur D'une autre Nuit réuni·e·s

Et peut-être D'un soleil qui brûlera du feu Que nous portons Crions Vers cette dite civilisation

[Les petites filles sauvages]

J'ai rêvé que j'écrivais un texte Qui s'appelait “Les petites filles sauvages”

Et je ne sais pas Si ce sont des petites filles qui poussent où elles veulent Comme les orties Les pâquerettes Et les pissenlits

Si ce sont celles qui habitent les bois Torse nu Cheveux hirsutes A se gaver de mûres et de myrtilles Au point d'avoir les lèvres teintées de bleu Et les dents de lait Teintées de rouge

Ou peut-être que ce sont celles Qui peuplent la jungle des villes Du terrain vague au bitume En jupe longue ou jogging Cheveux courts ou battant dans le dos En baskets en trottinette Le regard rieur Et les genoux écorchés Comme les paumes

Qui sont-elles ensuite ?

Des grandes personnes qui ont leur désir tatoué Tracé Entrelacé Sur les lignes de la main Au creux de leurs poings

Les petites et les grandes filles sauvages Savent qu'elles ont le cœur Du lapin De la biche Du merle De la renarde Du lynx Et de la louve

Un cœur intranquille Impatient Indomptable

Qui suit une piste insondable Même pour elles Même pour le chasseur ou la chasseresse Qui aurait pour elles Le cœur le plus débordant d'amour Ou de tendresse

[Poème boréal]

À Joséphine Bacon

Je rencontre une poétesse innu Parlant une langue inouïe Une langue De lichen et de vent Qui dentelle les mots en Papakassiku – le maître du caribou Nutshimit – la terre Kununiti – le vent Nutiki – la neige Aimun – le mot Une langue Dans laquelle le mot “poème” n'existe pas Dans laquelle le mot “poème” a été inventé Car il n'est pas besoin de nommer Une langue entière qui est poème

Les mots sont des échos Des voix qui se sont tues Mêlées à celles qui se souviennent Qui cherchent à la trace Dans la neige ou ailleurs Des morceaux de mémoire Accrochés au tambour et À la danse lente des étoiles

Sous l’œil du caribou Du courant des rivières et de l'aurore boréale Même la plus nue et la plus petite des pierres Est un poème nomade

[L'écho des crocs]

Dé-chaînée Des liens du bout de la langue Des liens comme des veines Écoute bien Des veines en lien à S'accrocher à l'autre pour respirer Pour s'irriguer Pour essayer De tenir debout De but en blanc Envers et contre tout Et même à contretemps

L'amour à l'autre Chevillé au corps En serrant les crocs À croquer le cou Et craquant la nuque pour accuser le coup L'amour à l'autre Tient à autre Chose que ces liens-là

Je lance la quête des désirs en porte-voix Des solitudes qui s'étonnent d'être là Du corps entier qui se retrouve porté Par deux jambes deux bras

C'est la quête des liens sans peur et sans contrôle La quête de mes mains Ouvertes à la parole

[Plantez-la là]

Le cœur à cran s'épanouit Dans le vent Cœur accro à l'air libre Vibre La tête en l'air Et les pieds seuls au sol J'enfonce mes racines

Je ne sais ce qui me pousse Mais ce n'est pas une mauvaise herbe

Je cherche dans la terre Un soleil incertain et secret Et une eau dormante Qui se réveille

Je vole au vent des graines plantées dans un mur Qui se fissure J'avale à vif la vie qui vient Bien sûr

[Constellations]

Trouver sa place Ou plutôt Accueillir celle qu'on a Qu'on nous propose Qu'on nous fait

Repousser du bout du doigt La sensation qui monte A chaque fois que l'on ne se sent pas bien là Juste là où l'on est

Repousser doucement la peur De ne faire partie d'aucun monde

Tenter de renoncer aux techniques du type – liste non exhaustive - 1) Imposer ses choix – même les plus anodins - Genre imposer la glace en bâtonnet plutôt que la glace en pot Par peur de ne pas être écoutée Ou encore 2) Se fondre dans la masse Dans le groupe Dans l'autre Avec l'idée de correspondre à l'image que qui que ce soit attend de nous Mais aussi 3) Se remettre en question au point De se dire que le cas est désespéré Que l'on est cinglé·e/cassé·e/éclaté·e Un genre de monstre un peu barjo Au point de se dire aussi Qu'il vaut mieux s'isoler que de toucher celles et ceux qu'on aime Des filaments brûlants de nos angoisses

Trouver sa place Dans la constellation des relations Lever les yeux pour voir l'espace Au-dessus De soi Au lieu de baisser les yeux vers le gouffre qui s'ouvre au-dessous

Lever les yeux Voir comme le ciel est grand Large Profond Insondable

Trouver les contours de son propre rayonnement Se regarder comme tel Étoile Pas un météore en fusion type Armageddon Pas une géante rouge au bord de l'explosion Pas – non plus – le centre de l'univers

Juste ça Juste soi Étoile Un peu radioactive Un peu brûlante Un peu suspendue dans le vide Et aussi – pour cela Précisément pour cela - Brillante brillante brillante À accrocher des rêves aux regards À guider qui se perd en mer À porter une partie du monde Dans la constellation des mondes

[Qu'il faut porter l'obscur]

Le temps s'écoule en suspension Le monde autour de moi est nu Comme mon esprit tendu Vers une direction que je ne connais pas encore J'espère que mon corps Avancera Posera ses pas au bon endroit Marchera pour ma tête Qui reste immobile sur les épaules Se dégageant de toute responsabilité Je perds le nord Le sud l'est et l'ouest Le haut et le bas L'intérieur même

Que l'obscur est sombre Ça paraît simple dit comme ça

J'ai l'impression d'être au bord d'une falaise De chercher encore un chemin invisible dans le vide Alors qu'il n'y a qu'à rebrousser chemin Revenir en arrière Voyager dans le temps Ou disparaître dans celui d'une chute

Elle dit ça la sorcière Qu'il faut rêver l'obscur Qu'il faut en prendre soin Que toute femme qui regarde en elle Est de celles Qui se baladent nues avec la puissance de la nuit

Moi je suis perdue Avec sous la peau Une obscurité si dense que je n'y vois rien Une partie de moi Coupée du temps de l'espace et du monde Je ne me sens pas puissante Je me sens si fragile Que je fuis le sommeil et le lit Pour ne pas ajouter d'ombre Aux lumières qui disparaissent déjà Restant tard à écrire Me levant tôt pour écrire Comme si la page blanche Et les lettres d'encre Pouvaient seules tatouer la peau de l'intérieur Donner des mots au silence de tombe Faire sonner les clochettes d'argent Et laisser des gouttes de rosée d'aurore Sur les toiles d'araignées Qui font dentelle Sur le plafond de ma boîte crânienne

[Prise au vent]

Je me sens comme un pissenlit en graines Prête à décoller À partir avec le vent Me désunir Lâcher l'attache Savoir le sol sous mes pieds sans le toucher Sentir La légèreté de l'être Ne plus tomber comme la pluie Mais trouver une façon Dans la fragilité De voir quelle force résiste Quelle prise existe Prise au vent ou prisonnière De liens qui libèrent