view[Brûler la nuit]
8 mars
Dans la nuit
Des formes se bousculent
Se rapprochent
S'allient comme l'eau
Comme des gouttes
Glissent
Se rassemblent
Se font marée montante débordant d'attente
Tou·te·s les animal·e·s sont là
Et tou·te·s
Poussent des cris
Le mien est strident
Inimitable
La meute fait corps
Derrière des mots qui disent des torts
Que l'on crie que l'on bannit
La meute fait corps
Derrière des mots que l'on dit en rythme
Le cœur battant sur le pavé
Rituel sous le ciel
Entre les murs de la ville
Les regards s'attrapent avec plaisir
Avec l’œil qui pétille
Qui brille
Qui reconnaît
Qui découvre
On tient au fil des yeux et de la voix
D'une ou deux ou trois compagnes
Qui retissent aussi la trame
De la rue
Autour
Des électrons libres
Veillent à ce que la traversée
Se fasse en puissance
Et en douceur
Sous les lumières électriques
Les feux que nous allumons ne vacillent pas
Ils étincellent entre nos mains
Ils chauffent nos gorges à nous brûler
Et nous en tirons quelques-uns
En feux d'artifices
Rouges et verts
Entre les enseignes qui disparaissent dans la foulée
Dans la fumée
Noire
Portée à bout de bras
Noire
Comme cette anarchie chérie
Couleur du deuil
De nos illusions perdues
Et de la nuit sans étoiles
La colère nous consume tant
Et si bien
Qu'à la fin nous sommes un poing serré
Fatigué·e·s
Mais riant criant toujours
Jusqu'au dernier pas ensemble
Jusqu'au dernier regard ensemble
Jusqu'au dernier mot ensemble
Et là
Comme les animal·e·s sauvages que nous sommes parfois
Chacun·e s'en va
Vers la dite civilisation
Qui porte en elle pourtant les violences
Que nous avons un instant enseveli dans la nuit
Portant sur soi
Le souvenir
La force
Le savoir
Et l'idée d'un futur
D'une autre
Nuit réuni·e·s
Et peut-être
D'un soleil qui brûlera du feu
Que nous portons
Crions
Vers cette dite civilisation
view[Les petites filles sauvages]
J'ai rêvé que j'écrivais un texte
Qui s'appelait
“Les petites filles sauvages”
Et je ne sais pas
Si ce sont des petites filles qui poussent où elles veulent
Comme les orties
Les pâquerettes
Et les pissenlits
Si ce sont celles qui habitent les bois
Torse nu
Cheveux hirsutes
A se gaver de mûres et de myrtilles
Au point d'avoir les lèvres teintées de bleu
Et les dents de lait
Teintées de rouge
Ou peut-être que ce sont celles
Qui peuplent la jungle des villes
Du terrain vague au bitume
En jupe longue ou jogging
Cheveux courts ou battant dans le dos
En baskets en trottinette
Le regard rieur
Et les genoux écorchés
Comme les paumes
Qui sont-elles ensuite ?
Des grandes personnes qui ont leur désir tatoué
Tracé
Entrelacé
Sur les lignes de la main
Au creux de leurs poings
Les petites et les grandes filles sauvages
Savent qu'elles ont le cœur
Du lapin
De la biche
Du merle
De la renarde
Du lynx
Et de la louve
Un cœur intranquille
Impatient
Indomptable
Qui suit une piste insondable
Même pour elles
Même pour le chasseur ou la chasseresse
Qui aurait pour elles
Le cœur le plus débordant d'amour
Ou de tendresse
view[Poème boréal]
À Joséphine Bacon
Je rencontre une poétesse innu
Parlant une langue inouïe
Une langue
De lichen et de vent
Qui dentelle les mots en
Papakassiku – le maître du caribou
Nutshimit – la terre
Kununiti – le vent
Nutiki – la neige
Aimun – le mot
Une langue
Dans laquelle le mot “poème” n'existe pas
Dans laquelle le mot “poème” a été inventé
Car il n'est pas besoin de nommer
Une langue entière qui est poème
Les mots sont des échos
Des voix qui se sont tues
Mêlées à celles qui se souviennent
Qui cherchent à la trace
Dans la neige ou ailleurs
Des morceaux de mémoire
Accrochés au tambour et
À la danse lente des étoiles
Sous l’œil du caribou
Du courant des rivières et de l'aurore boréale
Même la plus nue et la plus petite des pierres
Est un poème nomade
view[L'écho des crocs]
Dé-chaînée
Des liens du bout de la langue
Des liens comme des veines
Écoute bien
Des veines en lien à
S'accrocher à l'autre pour respirer
Pour s'irriguer
Pour essayer
De tenir debout
De but en blanc
Envers et contre tout
Et même à contretemps
L'amour à l'autre
Chevillé au corps
En serrant les crocs
À croquer le cou
Et craquant la nuque pour accuser le coup
L'amour à l'autre
Tient à autre
Chose que ces liens-là
Je lance la quête des désirs en porte-voix
Des solitudes qui s'étonnent d'être là
Du corps entier qui se retrouve porté
Par deux jambes deux bras
C'est la quête des liens sans peur et sans contrôle
La quête de mes mains
Ouvertes à la parole
view[Plantez-la là]
Le cœur à cran s'épanouit
Dans le vent
Cœur accro à l'air libre
Vibre
La tête en l'air
Et les pieds seuls au sol
J'enfonce mes racines
Je ne sais ce qui me pousse
Mais ce n'est pas une mauvaise herbe
Je cherche dans la terre
Un soleil incertain et secret
Et une eau dormante
Qui se réveille
Je vole au vent des graines plantées dans un mur
Qui se fissure
J'avale à vif la vie qui vient
Bien sûr
view[Constellations]
Trouver sa place
Ou plutôt
Accueillir celle qu'on a
Qu'on nous propose
Qu'on nous fait
Repousser du bout du doigt
La sensation qui monte
A chaque fois que l'on ne se sent pas bien là
Juste là où l'on est
Repousser doucement la peur
De ne faire partie d'aucun monde
Tenter de renoncer aux techniques du type
– liste non exhaustive -
1) Imposer ses choix – même les plus anodins -
Genre imposer la glace en bâtonnet plutôt que la glace en pot
Par peur de ne pas être écoutée
Ou encore
2) Se fondre dans la masse
Dans le groupe
Dans l'autre
Avec l'idée de correspondre à l'image que qui que ce soit attend de nous
Mais aussi
3) Se remettre en question au point
De se dire que le cas est désespéré
Que l'on est cinglé·e/cassé·e/éclaté·e
Un genre de monstre un peu barjo
Au point de se dire aussi
Qu'il vaut mieux s'isoler que de toucher celles et ceux qu'on aime
Des filaments brûlants de nos angoisses
Trouver sa place
Dans la constellation des relations
Lever les yeux pour voir l'espace
Au-dessus
De soi
Au lieu de baisser les yeux vers le gouffre qui s'ouvre au-dessous
Lever les yeux
Voir comme le ciel est grand
Large Profond Insondable
Trouver les contours de son propre rayonnement
Se regarder comme tel
Étoile
Pas un météore en fusion type Armageddon
Pas une géante rouge au bord de l'explosion
Pas – non plus – le centre de l'univers
Juste ça
Juste soi
Étoile
Un peu radioactive
Un peu brûlante
Un peu suspendue dans le vide
Et aussi – pour cela
Précisément pour cela -
Brillante brillante brillante
À accrocher des rêves aux regards
À guider qui se perd en mer
À porter une partie du monde
Dans la constellation des mondes
view[Qu'il faut porter l'obscur]
Le temps s'écoule en suspension
Le monde autour de moi est nu
Comme mon esprit tendu
Vers une direction que je ne connais pas encore
J'espère que mon corps
Avancera
Posera ses pas au bon endroit
Marchera pour ma tête
Qui reste immobile sur les épaules
Se dégageant de toute responsabilité
Je perds le nord
Le sud l'est et l'ouest
Le haut et le bas
L'intérieur même
Que l'obscur est sombre
Ça paraît simple dit comme ça
J'ai l'impression d'être au bord d'une falaise
De chercher encore un chemin invisible dans le vide
Alors qu'il n'y a qu'à rebrousser chemin
Revenir en arrière
Voyager dans le temps
Ou disparaître dans celui d'une chute
Elle dit ça la sorcière
Qu'il faut rêver l'obscur
Qu'il faut en prendre soin
Que toute femme qui regarde en elle
Est de celles
Qui se baladent nues avec la puissance de la nuit
Moi je suis perdue
Avec sous la peau
Une obscurité si dense que je n'y vois rien
Une partie de moi
Coupée du temps de l'espace et du monde
Je ne me sens pas puissante
Je me sens si fragile
Que je fuis le sommeil et le lit
Pour ne pas ajouter d'ombre
Aux lumières qui disparaissent déjà
Restant tard à écrire
Me levant tôt pour écrire
Comme si la page blanche
Et les lettres d'encre
Pouvaient seules tatouer la peau de l'intérieur
Donner des mots au silence de tombe
Faire sonner les clochettes d'argent
Et laisser des gouttes de rosée d'aurore
Sur les toiles d'araignées
Qui font dentelle
Sur le plafond de ma boîte crânienne
view[Prise au vent]
Je me sens comme un pissenlit en graines
Prête à décoller
À partir avec le vent
Me désunir
Lâcher l'attache
Savoir le sol sous mes pieds sans le toucher
Sentir
La légèreté de l'être
Ne plus tomber comme la pluie
Mais trouver une façon
Dans la fragilité
De voir quelle force résiste
Quelle prise existe
Prise au vent ou prisonnière
De liens qui libèrent
view[Désir fauve]
Le désir est joueur
Il naît
Disparaît
Ressurgit
Reste en surface
S'efface
Meurt pendant des jours
Ressuscite
Pointe le bout du nez ou de la patte
Timide
Peu à peu
S'installe
Mais jamais tout à fait
Il faut montrer patte blanche
A son tour
L'apprivoiser comme un renard ou une amitié
Accepter de le voir loin
Parfois se laisser brûler
Drôle de fauve
Avec autant de fourrure en camouflage
Que de griffes en défense
Que de caresses en amour
view[Petite tristesse]
Vague à l'âme
En lame de fond
Sous la peau
Les mots m'écorchent en écho
Scarification du cœur
Sans trace au-dehors du corps
C'est con
De manquer de confiance
La conscience intranquille
Vrille
Dans une valse absurde
Dépourvue de sens
Je pense en boucle
Sans pansement pour mes petites blessures
Écorchures
De silences qui sillonnent
Mon crâne comme un vinyle
Une musique polyphonique résonne
Mélancolique
Pincement mineur au cœur
Corde sensible
Qui fait vibrer la voix
Indécente de petite tristesse